Nous ne sommes pas des fleurs - Deux siècles de combats féministes en Inde
Publié le 4 Juin 2010
Les Carnets
Le monde du Yoga
N° 287 - Mai 2010
D'après l'article de Christine gouffier : "Question à Martine van Woerkens"
Martine van Woerkens, anthropologue, nous fait découvrir dans son livre : " Nous ne sommes pas des fleurs - deux siècles de combats féministes en Inde" chez Albin Michel, la réalité du féminisme indien à travers les récits de vie d'une dizaine de femmes qui ont combattu pour plus de libertés.
"Ce livre est né parce que mes amies indiennes étaient choquées du fait que les femmes indiennes, malgré tous les combats qu'elles avaient pu conduire depuis de nombreuses années, malgré les progrès accomplis, continuaient à être dépeintes comme des victimes.
Exemple :
Il y a quelques jours le Monde rapportait, en première page, une victoire qu'elles venaient de remporter : "Dorénavant, 30 % de femmes allaient être obligatoirement représentées au Parlement national indien". Mais l'article qui développait cette annonce, en page intérieur, rappelait que les Indiennes sont brûlées vives, que les bébés de sexe féminin sont tués à la naissance, etc... Il ne s'agit pas de nier ces faits, mais pourquoi les évoquer systématiquement dès qu'il est question des femmes indiennes ? Imaginez qu'en Inde, dans la presse, on ne parle jamais des Françaises sans omettre de dire que l'une d'entre elles meurt tous les quatre jours sous les coups de son conjoint !
Dans cet ouvrage je suis partie de ces stéréotypes occidentaux, j'ai tenté de leur substituer une réalité plus nuancée, plus complexe et dont les prémisses sont différentes. Non plus les femmes victimes, mais des femmes en lutte. Non plus la globalité indienne, mais des individus et leurs expériences.
Les premiers combats des femmes se sont surtout développés dans deux régions, le Bengale et le Maharashtra. Dans ce dernier que je connais mieux, il y avait là une élite intellectuelle "éclairée". Cette élite dite "réformatrice" prit entre autre le parti d'éduquer les femmes, plus précisément des pères ou des époux enseignèrent à leurs filles ou à leurs épouses la lecture ou l'écriture. Il s'agissait d'un microcosme constitué majoritairement d'Indiens orthodoxes, appartenant aux hautes castes de la société, où les femmes étaient tenues dans l'ignorance... La religion leur interdisait l'accès aux Veda, il en avait été tiré la conséquence qu'elles ne devaient à aucun prix être éduquées.
La première femme dont je parle s'appelait Ramabai Ranade. Au moment de son mariage, elle avait 11 ans, son mari 32 ans. Le jour même de la cérémonie, il décide de lui apprendre à écrire. Elle raconte dans ses Mémoires que cet apprentissage fut pour elle une source de joie et aussi de tortures, car toutes les femmes de la maison s'y opposaient, elles ont même failli la faire mourir.
Une femme extraordinaire a marqué la première moitié du XXè s. Kamaladevi Chattopadhyaya est en quelque sorte le produit des femmes éduquées de cette première génération. C'est une femme étonnante, par sa culture, son comportement, ses engagements. Très jeune, elle a participé au mouvement nationaliste, elle était au côté de Gandhi lors de la marche du sel, elle était de tous les combats pour l'Indépendance. Ce qui est très attachant en elle, c'est qu'elle était libre, sa liberté de mouvement et de jugement est hallucinante, surtout quand on pense à la génération précédente qui accomplissait timidement sous contrôle étroit des hommes ses premiers pas dans l'espace public.
Elle défend l'idée qu'elle servira tout au long de sa vie : la liberté de l'Inde ne vaut que si les femmes indiennes son libres.
La deuxième partie du livre décrit les mouvements féministes après l'indépendance. Des groupes autonomes de femmes se constituaient et développaient une première campagne contre la dot. Ces activistes, dont beaucoup étaient des universitaires, s'étaient aperçues que des femmes, jeunes en général, disparaissaient sans explication. Elles ont voulu comprendre et ont découvert que ces disparues avaient été assassinées, brûlées vives pour la plupart, parce que leur époux, qui réclamait des compléments de dot, n'avait pas été entendu. Il supprimait la coupable, et se remariait ensuite pour recevoir une seconde dot. L'effroyable mécanisme était démonté, ce fut une onde de choc, car jusqu'alors ce phénomène social était tenu secret grâce à la complicité des voisins et de la police.
La question de la sexualité féminine et le droit pour les femmes de disposer librement de leur corps provoquaient de furieuses résistances. Après des lois contre la dot, contre le viol, des lois contre la sélection prénatales, contre la violence domestique furent votées. Elles sont remarquables, mais elles ne peuvent profiter qu'aux femmes "éduquées", qui ont accès à la justice et qui connaissent leurs droits.
Mayawati, femme "intouchable", l'actuelle Chief Minister de l'Uttar Pradesh, (l'état le plus peuplé de l'Inde), tente de résoudre cette immense difficulté en mettant en place des commissions pour recueillir les plaintes des victimes et saisir la justice.
La dernière partie de ce livre concerne les femmes de la plèbe indienne à travers l'histoire de deux femmes. Les plus défavorisées sont restées longtemps les oubliées du progrès, et les avancées obtenues ont bénéficié essentiellement aux castes moyennes et supérieures.
L'histoire de Phoolan Devi, "la reine des bandits", connu aussi bien en Inde qu'en Occident montre que sa rébellion s'enracine dans une vie très ordinaire. Son destin bascule lorsqu'elle est kidnappée par une bande de brigands, qu'elle devient membre de la bande, puis qu'elle est victime d'un viol collectif au village de behmai. Accusée d'avoir massacré ses violeurs, Phoolan fera 9 ans de prison mais ne sera jamais jugée. A travers les biographies, la presse, le cinéma qui se sont emparés d'elle, elle représente un mythe, elle joue certes un rôle détonateur social à l'époque, mais elle constitue aussi une machine à fantasmes. Ce qui m'a intéressée, c'est lorsque son destin bascule une seconde fois, lorsqu'elle est libérée de prison, elle tend la main à ses semblables, les femmes pauvres, illettrées, opprimées.
En conclusion les femmes sont mieux protégées qu'elles n'étaient, il y a eu de grandes avancées au niveau des lois et manifestement les "mentalités" ont évolué. Progressivement les luttes se sont étendues aux femmes de toute origine sociale. Le mouvement des femmes est non seulement irréversible en Inde, mais contrairement à ce qui se passe en Occident, il s'est démocratisé et son intensité s'est accrue.
Présenté par Dominique Bart