Les contes de fée retrouvent leur sens spirituel
Publié le 2 Juillet 2014
Le Journal du Yoga
juin 2014 - n°151
D’après un article d’Isabelle clerc
Jacqueline Kelen fut productrice à France Culture pendant 20 ans, elle a publié une trentaine d’ouvrages, dont voici le dernier : « une robe de la couleur du temps »
Le Journal du Yoga – qu’est-ce qui vous a poussée à entrer dans l’intime des contes de fée et à en dévoiler le sens spirituel ?
Jacqueline Kelen – J’ai un souvenir très ancien des contes de fée, plus particulièrement ceux de Grimm, les plus ésotériques. J’ai eu la chance de lire Perrault dans la version non édulcorée. Dans la version originale, on ne trouve jamais à la fin « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants » car il ne s’agit pas du temps historique, « il était une fois », cette formule initiale ne renvoie pas à un passé révolu, mais désigne un temps pour toujours, merveilleusement vivant, dont l’âme garde mémoire en dépit de tout, à la façon dont Peau d’Ane garde dans son exil le coffret qui recèle les trois robes fabuleuses. De plus, au cours de mes études de Lettres classiques, j’avais été confrontée aux grands mythes, avec Homère, Cicéron, Sophocle, Pline, toute la chevalerie, les romans courtois (une pure merveille).
JdY – Ainsi les contes de fée ne sont pas, du moins à l’origine, de simples récits folkloriques. Que touchent-ils chez nous ?
JK – Si les mythes m’ont toujours passionnée, c’est que leur approche du monde, de l’être humain, de la nature, n’est pas celle de l’observation scientifique : ils parlent à notre âme. Les contes se relient à toutes les traditions religieuses dans lesquelles on trouve des paraboles, histoires zen, soufis, hassidiques… Je suis passionnées par l’intemporel. Et l’amour, le silence, la beauté en sont les grands thèmes comme ils sont les grands sujets de la conscience.
JdY – Grimm, Perrault, Andersen, pourquoi vous êtes-vous limitée à la tradition occidentale ?
JK – leurs grands contes continuent d’alimenter la publicité, les films. D’évidence, ces auteurs ont recueilli une tradition immémoriale, étrangère aux monothéismes religieux.
JdY – et vous en donnez une interprétation personnelle. Ainsi le prince charmant devient l’esprit à l’œuvre.
JK – une interprétation personnelle d’ordre initiatique qui rappelle la présence du surnaturel, d’autres mondes, l’importance de l’invisible. La pseudo-philosophie actuelle ne cherche qu’à couper nos antennes. En dehors de Bettelheim (« La psychanalyse des contes de fées ») et de « L’interprétation des contes de fée » de Marie Louise Von Franz, disciple de Jung, il n’y a quasiment rien sur les contes. Les intuitions de Bettelheim sont intéressantes : elles vont au-delà dufreudisme.
JdY – La parole enchantée ne circule plus, dites-vous. Qu’est-ce qui l’en empêche ?
JK – Déjà, la parole est rare. La jacasserie insipide abonde. Toute parole authentique vient du silence, du recueillement, d’un esprit méditatif. La véritable parole vient de loin, elle est reliée à plus grand que soi. Si elle ne circule plus beaucoup, c’est qu’il n’y a plus d’oreilles, ni de cœur pour la recevoir. De même, les gens ne regardent plus. Je les vois au jardin du Luxembourg courir en écoutant leur ‘même truc ‘.
La parole est enchantée parce qu’elle nous ouvre à un monde de beauté. A travers les contes, elle circule oralement et nous réveille. Les vrais enseignements sont oraux. Ce que j’aime dans les contes et les mythes, c’est que nos relations ne se limitent pas aux relations humaines. Le héros dialogue avec l’univers entier. Le petit chaperon rouge parle avec le loup, on parle avec l’arbre. Tout est précieux dans le cosmos.
Comment peut se produire cette ouverture du cœur dans un monde qui nous projette sans cesse en dehors de nous-même ? Si tant de livres sont publiés sur le bonheur, c’est que notre société n’est pas heureuse. On ne va pas dire aux peuples du désert comment trouver le sable. En un monde trompeur ou triomphe les faux semblants, ou les imposteurs qui égarent les âmes passent pour des maîtres de vérité, la lumière spirituelle doit cheminer clandestine afin de n’être ni capturée, ni entravée dans sa progression.
JdY – Selon vous, le chercheur spirituel ne s’enquiert pas de trouver mais bien de retrouver ce dont il se sent privé mais qu’en réalité, il n’a jamais perdu. Mais la quête de ces retrouvailles ne serait pas de toute tranquillité ?
JK – Sous l’influence d’un pseudo-orientalisme, l’on finirait par croire que la vie spirituelle, c’est le calme plat, le lac tranquille. Or, c’est un chemin en questionnement, bouillonnant, c’est ‘ l’intranquillité ’, pour reprendre le mot de Pessoa. C’est le lieu de la vaillance, de l’audace, du risque. Selon l’idée entretenue, c’est quelqu’un d’autre qui va me dire, m’indiquer. Et, de fait, l’être humain est tout sauf démuni. Ses ressources sont infinies s’il veut bien guérir en lui la source. Bien sûr, c’est une ascèse, une rigueur, et c’est totalement gratuit. En tous cas, ce n’est jamais l’autre qui va me dire ce qu’il faut faire.
JdY – Le plus douloureux dans une existence terrestre n’est pas de vivre un amour sans réponse, mais d’être dénué d’amour, dites-vous. Alors on s’endort comme la belle au bois ?
JK – L’amour doit-il forcément être réciproque ? Don Quichotte aime une paysanne qui l’ignore. Il la transfigure, l’appelle Dulcinée. En son nom, il part livrer bataille. Si on est bloqué sur l’amour réciproque, on ne pense qu’à soi. S’il n’est pas réciproque, c’est le somment de l’amour. C’est cette incroyable puissance qui nous sort de notre prison. Si j’aime, je suis libre. Si je suis aimé, je suis réconforté. La belle au bois dormant symbolise la sagesse oubliée de tous sauf d’un : le prince. Il cherche, il insiste, il trouve, il ne la réveille pas. Quand il arrive, elle ouvre les yeux. Tant qu’un mortel a soir de connaissance, elle reste vivante. Le prince est celui qui va de l’avant, c’est l’esprit qui œuvre en ce monde.
JdY – Votre lecture de l’amour risque de décevoir beaucoup de midinettes, non ?
JK – L’amour qui ne finit pas, qui est joie, n’est pas d’ordre sentimental. Comment peut-on redescendre à une lecture psychologique de base ? Si ces récits nous émerveillent, quel que soit notre âge et notre culture, c’est qu’ils nous parlent de quelque chose dont nous avons soif, d’un univers qui n’est pas notre quotidien. Dans le yoga aussi, il a la scène invisible. Mais nous, depuis le 19è siècle positiviste, on se passe de tout ça.
Proposé par Dominique Bart
Résumé du livre
On continue de penser que les contes de fées s'adressent aux enfants. Or, leur magie ne tient pas seulement aux histoires merveilleuses qu'ils racontent, mais surtout à ce qu'ils cachent : une Sagesse précieuse, qui tantôt circule sous le manteau de Peau d'Âne, tantôt scintille à travers des pantoufles de verre, ou veille silencieusement dans un château endormi... Les contes traditionnels ne cessent de tisser des fils entre le visible et l'invisible, se révélant des guides sûrs pour l'âme, exilée en ce monde, à la recherche de son chemin de lumière. Puisés dans le trésor transmis par Perrault, les frères Grimm et Andersen, dix-sept contes sont ici dévoilés dans leur dimension spirituelle. À travers l'ogre ou la princesse, la sirène ou le petit tailleur, ils nous entretiennent de l'amour, de la beauté, du mal et de l'innocence, d'une musique enfouie, d'un royaume à recouvrer, et rappellent à chacun la grandeur de la destinée humaine.
Pourquoi les contes sont-ils inoubliables et nous touchent à tout âge ?
La plupart des commentateurs les ont étudiés comme un matériau folklorique, ou en ont donné une explication psychologique voire psychanalytique, quand ils n'en ont pas proposé une approche thérapeutique, en lien avec le développement personnel. Pour Jacqueline Kelen, les contes de fées sont avant tout des récits initiatiques, rappelant sans cesse la présence du monde surnaturel et éveillant la conscience aux réalités éternelles. Parlant de l'âme et s'adressant à l'âme, ils transmettent un message spirituel caché sous le manteau de la fable et une sagesse intemporelle qui n'appartient à aucune religion en particulier. L'auteur a retenu 17 contes, parmi les plus connus : La Belle au bois dormant, Cendrillon, Le Petit Chaperon Rouge, Blanche-Neige, Le Petit Poucet, Peau d'âne... Ils parlent de l'amour, de la beauté, du mal, de l'innocence et de l'au-delà.
Pour aller plus loin :
Jacqueline Kelen est écrivain. Elle a suivi des études supérieures de lettres classiques. Dans ses nombreux livres et au cours de ses séminaires, elle dévoile la connaissance spirituelle que transmettent les mythes et explore les richesses de la vie intérieure. Elle a publié, entre autres : Marie Madeleine, un amour infini (Albin Michel), L'Eternel masculin (Robert Laffont), L'Esprit de solitude (Albin Michel), Divine Blessure (Albin Michel), Le livre des louanges (Albin Michel), Un chemin d'ambroisie (la Table Ronde), Hadewijch d'Anvers (Albin Michel), Bréviaire du colimaçon (Desclée de Brouwer) Passage de la Fée, la légende de Mélusine chez Desclée de Brouwer.