L'enseignement selon T.K.V. Desikachar
Publié le 5 Novembre 2014
Revue Française de Yoga
n°40 - juillet 2009
La séance de yoga dans la lignée dite "de Madras"
D'après un article d'Andrée Maman
Formée par Krishnamacharya et Desikachar à Madras
Médecin radiologue
Présidente d’honneur de la FNEY
Eclairage théorique sur la pratique
Selon l'enseignement reçu par Sri T.K.V. Desikachar de Madras, la séance de yoga est considérée comme une « tranche de vie » c’est-à-dire qu’elle s’insère tout naturellement dans un emploi du temps quotidien et est vécue comme tout autre évènement de la journée.
Ainsi conçue, en mettant en jeu, des attitudes tant physiques que psychiques habituelles, avec une qualité d’attention sans faille, cette séance pourrait même avoirtoutes les caractéristiques d’une véritable méditation.
Dans un premier temps, quand on décide de pratiquer, on observe l’état dans lequel on est au départ et, selon le but que l’on souhaite atteindre.
On va concevoir une séquence susceptible d’amener à une situation autre, celle qui permettra d’accomplir plus aisément les occupations qui suivront. Il est possible de donner un exemple de ce principe de base, tout en précisant d’emblée qu’il ne s’agit pas là de règles absolues :
- Ainsi, si l’on pratique le matin, au saut du lit, encore un peu engourdi, il pourrait être bon de commencer par des postures peu exigeantes, puis d’intensifier petit à petit le rythme et la longueur du souffle et des mouvements, afin de se retrouver en fin de séance avec assez d’énergie pour assumer les activités de la journée.
- Par contre, si la pratique a lieu en fin de journée, elle pourrait commencer par des postures dynamiques, difficiles, peut-être même inhabituelles, pour s’acheminer progressivement vers un état plus intériorisé qui induira un grand calme physique et psychique.
Agir ainsi implique deux grands principes de départ : poser une intention, un but à atteindre, et adapter la pratique à la situation présente :
il est possible de concevoir des façons de faire différentes selon son état de fatigue éventuelle, selon la température extérieure, et, comme dans les exemples précédents, selon l’heure de la journée consacrée à cette séance. Cette adaptation souhaitable tiendra compte de l’âge, du sexe, des saisons, bref, de tout élément pouvant avoir des conséquences particulières : état de santé physique, situations psychologiques pouvant nécessiter la mise en œuvre de moyens spécifiques et améliorer ainsi une situation compromise.
En sanskrit, l’intention aboutissant à une réalisation pratique particulière est bhâvâna ;
la progressivité à mettre en œuvre est vinyâsa.
Pendant ces pratiques, le rôle de la respiration, son ampleur, son rythme et la longueur des cycles d’inspir et d’expir est primordial :
C’est elle qui va régler la longueur du geste auquel elle est totalement harmonisée. Cette façon de pratiquer, spécifique au yoga, exige à l’évidence une attention soutenue, et permet aussi de travailler constamment avec aisance :
- Si le rythme respiratoire se raccourcit ou s’accélère, s’il devient malaisé, c’est que l’on a surestimé ses possibilités, ce qui signifie une nécessaire correction.
- L’idéal, en effet, est d’arriver, par cette fusion harmonieuse du geste et du souffle, à un état de très grande aisance, tant physiologique que psychique. L’impression ressentie est celle d’une parfaite adéquation de fonctionnement vital, comme si s’instaurait une synchronisation au niveau cellulaire, des équilibres fonctionnels.
La pratique comportera des phases de répétitions dynamiques d’un mouvement, de façon à échauffer et étirer les éléments musculaires dont l’action est nécessaire à l’exécution des postures choisies
- Pour chaque séance, une ou deux postures qui seront préparées plus particulièrement ; puis on s’immobilisera dans la ou les postures statiques ainsi facilitées.
- On s’imposera un nombre déterminé de répétitions dynamiques et aussi, dans la phase statique, un nombre donné de respirations, et on respectera cette intention, toujours dans le but d’une présente totale à l’acte accompli, sans distraction.
On pourra moduler les conditions que l’on s’impose pour éviter d’émousser cette précieuse qualité d’attention par un éventuel conditionnement :
- le rythme respiratoire pourra varier, en privilégiant par exemple la phase inspiratoire dans les ouvertures du corps ou la phase expiratoire dans les fermetures,
- en décidant parfois d’introduire des suspensions aisées du souffle après l’inspir ou après l’expir, ou après les deux… Tout procédé exigeant une grande concentration est à mettre en œuvre pour conserver à cette action ses qualités spécifiques.
Il pourrait être utile est souhaitable d’introduire des compensations dans des positions de repli ou de repos couché sur le sol en relaxation,
- dans le cas où une posture aurait provoqué une quelconque gêne, et ceci pour rétablir l’état de bien-être attendu ;
- de même, si la respiration a perdu son caractère aisé, son ampleur et sa facilité,
et aussi, si la fréquence cardiaque a trop augmenté.
Ces conseils pourraient faire penser que l’on refuse, dans ce type de pratique corporelle toute accélération du rythme cardiaque, ce qui est par ailleurs souvent souhaitable pour une bonne oxygénation : le but souhaité est non pas d’éviter cette occurrence, mais de ramener constamment les effets des postures suivantes.
Avant d’aborder l’état d’esprit avec lequel s’effectuent ces pratiques, nous aimerions décrire trois phases successives, processus qui permet de répondre à la question souvent posée : « comment pouvez-vous prétendre atteindre le mental par l’intermédiaire d’une pratique physique » :
- Dans un premier temps, sont sollicités le corps pour effectuer différentes postures, le souffle qui accompagne et guide les mouvements et le mental, en éveil constant pour observer et harmoniser le tout. Cette phase peut durer une quarantaine de minutes si la durée de la séance est d’environ une heure.
- Puis vient le temps du prânâyâma exécuté dans une posture assise à base large et à la fois stable et tenue aisément (ces conditions peuvent être assurées par des accommodements, par exemple, un coussin ou un support qui surélève le bassin pour que les genoux puissent reposer au sol, peut-être même un tabouret si la position au sol est pénible à supporter). Il s’agira de pratiquer des exercices conscients de respirations contrôlées dans leur nombre, leur longueur, leur rythme, ce qui permettra d’acquérir un souffle long et subtil. Le corps est alors totalement immobile ; seuls persistent en éveil le souffle et bien sûr le mental particulièrement attentif pour mener à bien ces pratiques. Une dizaine de minutes seront consacrées à cette phase.
- La troisième partie est un arrêt des exercices respiratoires dans un état d’observation de l’état acquis, état qui est le début d’une méditation, c’est-à-dire un état dans lequel se produit une prise de conscience, sans but et sans effort, de ce qui se passe en soi et autour de soi, un état de pure disponibilité à ce qui est :
Le corps et le souffle sont immobilisés,
le mental pacifié, a acquis une réelle sérénité ;
on a alors l’impression d’être le spectateur et non plus l’auteur de ce qui est.
Le but étant, dans l’idéal, d’améliorer une situation existante, ou encore d’atteindre, à plus ou moins long terme, une situation autre souhaitée, on peut concevoir des séances d’asana et de de prânâyâma dont les effets se complèteront pour s’approcher de la situation recherchée : ainsi, par exemple, une séance d’âsana très tonique (ayant comporté beaucoup de postures dynamiques, surtout en ouverture) sera, si nécessaire, compensée par un prânâyâma privilégiant la phase expiratoire, donc calmant. A l’inverse, une séance d’âsana très intériorisée, (avec surtout des postures statiques, de préférence en fermeture), pourra être équilibrée grâce à un prânâyama privilégiant la phase inspiratoire, plus tonifiant. Et ceci dans le but d’aboutir toujours à un équilibre et un bien-être salutaires.
Les caractéristiques spécifiques de la séance d’âsana en yoga, celles qui permettent de la différencier d’autres techniques physiques apparemment semblables pour un observateur extérieur qui verrait un corps se mouvoir dans différentes directions, tiennent à l’attitude psychologique du pratiquant.
- Ainsi, cette action impliquera de travailler sans esprit de compétition, tant envers soi-même, qu’envers ceux qui nous entourent ;
- de maintenir, tout au long de la séance, une présence totale à ce qui se déroule ;
- et d’observer constamment les effets ressentis pour adapter sans cesse, si besoin est.
Ce faisant, il est possible que l’on prenne conscience de difficultés à accomplir ce qui est prévu car des réticences physiques se manifestent :
- l’attitude juste à adopter alors est de reconnaitre ces difficultés avec humilité, d’accepter qu’il en soit ainsi et de lâcher prise temporairement.
- Puis on essaiera de comprendre les raisons de ces obstacles pour élaborer une stratégie qui, à plus ou moins long terme, permettra de surmonter la difficulté.
- Il s’agit alors de faire intellectuellement une analyse de la situation, puis une synthèse pour trouver la solution souhaitées, ce qui nécessite l’intervention du raisonnement, donc du mental.
Les attitudes évoquées : non-compétition, humilité, lucidité, acceptation de ce qui est, sont celles qu’il serait souhaitable de mettre en jeu dans tout acte quotidien et c’est la raison pour laquelle on peut concevoir l’obtention d’un grand bien-être psychique semblable à ce qui est acquis physiquement.
Ces notions ne sont qu’un des éléments des huit membres du yoga défini dans les textes fondateurs, ils sont néanmoins très importants à expérimenter, pour aborder les aspects plus méditatifs auxquels ils mènent, ainsi qu’il a été dit.
Et progressivement, cette structuration profonde de tous les aspects de l’être (physiques, physiologiques et psychologiques) mène à l’épanouissement spirituel, dans contexte de sérénité profonde et de joie.
Proposé par Dominique Bart