L’eco-anxiété, une forme de lucidité
Publié le 3 Juin 2020
KAISEN
N°49 - MARS, AVRIL
Chronique Bastien Dubois
Lors d’une conférence sur « l’éco-anxiété », (Crainte des catastrophes écologiques et climatiques à venir), Christophe André, médecin psychiatre, rapporte qu’une jeune fille vient le remercier pour son exposé et le questionne :
« je fais de mon mieux en matière de protection de l’environnement, mais je me demande si ça va suffire ; par exemple, pensez-vous que je peux continuer d’habiter en ville ou qu’il vaut mieux partir à la campagne ?»
C. André comprends que pour elle, les problèmes écologiques ne sont pas de la spéculation mais de l’action. Sa réponse en tant que soignant qui étudie les émotions associées à ces changements est : « …si les villes continuent de se transformer, si tout le monde ou presque prend son vélo ou les transports en commun, si l’on cesse de bétonner pour végétaliser, si l’on interdit l’éclairage inutile des vitrines et la climatisation à tour de bras, les 4x4, les SUV, et tout ça, alors les milieux urbains resteront vivables ! »
L’anxiété n’est pas forcément une maladie ! Elle le devient, que pour ses formes extrêmes…, sinon c’est une fonction cérébrale normale, un signal d’alarme qui peut avoir de la valeur. Les personnes anxieuses ne délirent pas, elles ne se focalisent pas sur des dangers imaginaire. L’anxiété appartient à la famille de la peur, qui est son émotion mère : et la peur, c’est notre réaction face à un danger bien réel.
Bien sûr, il y a des personnes plus anxieuses que d’autres. Mais il arrive que les anxieux aient raison. Que leur anxiété soit une forme de lucidité, là où la tranquillité ou l’indifférence ressemblent à de l’aveuglement ; c’est le cas de l’éco-anxiété : elle doit être écoutée.
Le problème, c’est que l’anxiété est une émotion douloureuse et inconfortable. Et que la tentation est grande de la faire taire. C’est ce que l’on appelle en psychologie les « mécanismes de défense », les petits réflexes que nous adoptons inconsciemment pour acheter notre paix intérieure :
Par exemple, le déni : « ce n’est pas un si gros problème » ; le refoulement : « un problème ? Quel problème ? » ; le déplacement : « le problème est ailleurs » ; la projection : « c’est vous qui avez un problème. »
Ça vous rappelle les réactions de certains face au réchauffement climatique ? Normal, c’est leur façon de se défendre de l’éco-anxiété. Ils feraient mieux d’assumer leurs émotions inconfortables. Greta Thunberg leur dit vigoureusement : « les adultes répètent qu’ils doivent donner de l’espoir aux jeunes générations. Mais je ne veux pas de votre espoir. Je ne veux pas que sous soyez rassurants. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens, tous les jours. Et ensuite, j’attends de vous que vous agissiez ; je veux que vous agissiez comme si nous étions en crise, comme si la maison était en feu. Parce que c’est le cas. »
Tiens, il y a une autre éco-émotion qu’il vaudrait mieux accepter, plutôt que de la refouler : l’éco-culpabilité ! Ce serait bien que tous les humains qui en ont les moyens renoncent à prendre l’avion pour un oui ou pour un non, pour leur seul bon plaisir d’un week-end à Rome ou d’une semaine en Thaïlande ! C’est la première fois de ma vie, en tant que psychiatre, que je souhaite voir davantage de gens anxieux et culpabilisés ! Quelle drôle d’époque…
Proposé par Dominique Bart
Pour aller plus loin :
Livre : Christophe André, « Le Temps de méditer » avec un CD d’exercices, l’Iconoclaste-France Inter 2019.