Kabir, poète de l'indicible

Publié le 18 Juillet 2018

Journal du yoga

N°161 – Mai 2015

 

d'après un article de Michel Guay

Avec son franc-parler, ses élans amoureux et ses invectives contre les   représentants des religions, Kabir, du fond du XVe siècle, inspire encore aux générations indiennes une dévotion hors norme.

Il est le poète et mystique le plus chanté en Inde. Chantre de l'indicible, sa voix, toujours vivante, dit son amour, et parfois sa peine.

 

Michel Guay, sitariste, chanteur et compositeur, ancien étudiant de l'université de Bénarès, a écrit « Kabîr, une expérience mystique au-delà des religions », publié chez Albin Michel ; il nous invite ici à découvrir l'œuvre du poète.

 

L’amour dont on ne revient pas

Un concert de musique classique en Inde a une chance sur deux de se conclure sur un Bhajan de Kabir, un de ces chants de dévotion qui arrachent des larmes aux auditeurs indiens, sensibles jusqu’à la fibre la plus intime de leur être à cette notion de renoncement qui fonde la spiritualité indienne, et qui éclaire la futilité du monde à la lumière de l’Aimé.

Kabir éclaireur se fait visionnaire de l’invisible, et revient nous raconter son histoire inénarrable (Poèmes traduits par Michel Guay) :

Histoire indicible que l’amour

Qui saurait la raconter ?

Ceux qui en sont revenus

En sont devenus muets

Epris d’une douceur

Dont on ne revient pas (…)

(Panca Vani, pada 180)*

 

Il était une fois à Bénarès

Né à Bénarès au XVe siècle, ses origines sont voilées dans le syncrétisme de son époque : selon certains, Kabir était orphelin brahmane, donc hindou, et fut adopté par un couple de tisserands musulmans, héritant ainsi d’un métier et de la basse caste correspondante ; celle des Julahas.

Pour d’autres, il était fils légitime de ce même couple, récemment converti à l’islam, et conservant des pratiques hindouistes. Dans la ferveur religieuse de ce lieu de pèlerinage, épicentre de la géographie sacrée de l’Inde, au carrefour de toutes les écoles de pensée depuis des millénaires, Kabîr sera emporté par un puissant courant intérieur qui provoquera l’éveil.

 

Il pleuvait du nectar

Il poussait des diamants

La vérité résonnait

Comme une cloche (…)

(Kabir Dohé, pada 44)

 

De sa vie, très peu nous est connu, mis à part trois poèmes autobiographiques :

 Dans l’un, on le jette enchaîné dans le Gange, il s’en sort par miracle et se remet à méditer ;

 Dans un deuxième, il se plaint que son fils fuie l’ascèse et emprunte la voie mondaine ;

 Dans un troisième, sa famille lui reproche de ne plus travailler et de passer ses journées en chants et en contemplation ;

 

Absorbé par la poésie qui fait du monde une analogie de l’invisible, Kabîr transpose son métier à l’échelle de l’univers :

Vous n’avez pas décrypté

Les secrets du tisserand ?

En un moment il avait étendu

Tout l’univers sur son métier.

Pendant que vous étiez là,

A écouter les Védas et les Puranas

Moi j’étais ici, et, tranquillement

Je triais les fils de ma trame.

(Adi Granth, shabda 36)

 

Souvent associé au soufisme par son nom d’origine arabe (Kabîr = Kébir = « le grand »), il n’en reste pas moins une figure de dévotion hindoue, car il invoque le nom du dieu Ram. Ainsi, les musulmans en Inde ne le vénèrent pas comme un saint. Kabir, en maître de lui-même, hérite des deux points de vue et les transcende.

 

Ils portent des noms différents

Mais sont pots de la même argile !

Kabîr vous le dit :

Tous deux se sont égarés

Et nul n’a trouvé Ram.

(Bijak, shabda 30)

 

Les chants du poète

Kabîr était illettré. Il entend tout, mais n’adhère à rien, et invite à l’immédiat, sans l’abstraction des idéologies, et sans l’écriture, ce prestigieux décalage.

 

Je n’ai jamais touché ni encre ni papier

Ma main n’a jamais tenu la plume

La grandeur des quatre âges

Kabîr la fait naitre de sa bouche

(Bijack, sâkhi 187)

 

Sources écrites et orales

Le fait de se nommer à la fin du poème est une manière de signature dans la tradition orale. Les chants de Kabir sont transmis de génération en génération et sont plus nombreux aujourd’hui dans l’oralité que dans les sources écrites, car le peuple a continué à composer et à chanter en son nom, devenu synonyme de cette émancipation intégrale, spirituelle et sociale. Les manuscrits s’étalent sur quatre siècles à partir du XVIe siècle, se trouvant principalement dans trois traditions : d’abord celle des sikhs, qui l’acceptent comme un des leurs (un « Bhagat »), à cause de sa vision iconoclaste et anti-caste ; dans la tradition de dévotion vishnouïte de l’ouest, au Rajasthan ; et à Bénarès, bastion du brahmanisme, où il aura toujours beaucoup d’adhérents parmi les basses castes. Là se trouvent aussi le siège de la Kabir Panth, la secte officielle, ainsi … l’idole de Kabir !

 

Proposé par Dominique Bart

 

Pour aller plus loin :

Voir l’article complet, disponible à la bibliothèque de l’UCY

A lire ! Kabir, une expérience mystique au-delà des religions par Michel Guay chez Albin Michel - Spiritualités Vivantes.

 

 

Rédigé par UCY

Publié dans #Spiritualité-philosophie

Repost0
Commenter cet article