La sagesse au coin du cerveau
Publié le 20 Septembre 2017
KAISEN
Construire un autre monde... pas à pas
(Kaizen est un mot japonais. Littéralement, il signifie : "changement" (kai) "bon" (zen).
C'est aussi la philosophie d'un changement durable, par les petits pas.
N° 33 – Juillet – Août 2017
Extrait d’une Rencontre avec Idriss Aberkane, propos recueilli par Sabah Rahmani
Dans son livre « Libérez votre cerveau !, Traité de neuro-sagesse pour changer l’école et la société », (Robert Laffont 2016), le consultant-chercheur en neurosciences Idriss Aberkane dénonce les dérives du système matérialiste et propose une vision plus consciente et gaie des apprentissages.
Qu’entendez-vous par neuro-sagesse ?
… l’écrivain Isaac Asimov posait cette grande question :
« Une civilisation qui produit beaucoup de connaissances, combien de sagesse produit-elle ? Il a dit :
« Qu’une civilisation qui crée trop de connaissances et pas assez de sagesse est vouée à l’extinction ».
Et en neurosciences ? C’est tout à fait vrai ! Aujourd’hui, les connaissances progressent à grande vitesse, aussi bien dans le Trans-humanisme, ou augmentation de l’humain – comme avec le projet Neuralink d’Elon Musk (visant à connecter nos cerveaux aux machines) -, que dans le déchiffrage des pensées, des décisions et même de la personnalité ou des intentions. Pourtant, alors que la vie mentale se déverrouille scientifiquement, l’être humain ne gagne pas en sagesse. Or comme l’écrivait Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
C’est ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?
Ce qui m’a motivé c’est le scandale qui a été révélé aux Etats-Unis en 2015. On a appris que des membres de l’Association américaine de psychologie s’étaient rendus coupables de participation aux programmes de torture de la CIA !! ils ont utilisé leurs recherches en neurosciences pour aider cette agence à développer de nouvelles techniques de souffrance et d’intimidation mentale en se basant sur le phénomène de l’impuissance apprise (s’habituer tellement à la souffrance qu’on ne tente plus d’y mettre fin, même quand c’est possible). Avec les connaissances du cerveau que l’on a aujourd’hui, on peut faire d’énormes dégâts, voire contrôler la société. C’est ce que j’appelle le neuro-fascisme, car, dans ce cas-là, on verrouille notre vie mentale, qui est censée être le dernier bastion de notre liberté. Avec les neurosciences, on peut faire meilleur comme le pire. Le pire ayant déjà été fait, il est donc urgent de s’interroger sur la neuro-sagesse.
Alors, pour vous, le « connais-toi toi-même » de Socrate
passerait par « connais ton cerveau » ?
Exactement, car connaître le cerveau humain, c’est intimement connaitre l’être humain. Si vous ne connaissez pas votre cerveau, d’autres le connaîtront pour vous, et ce n’est pas dans votre intérêt. Si on veut libérer les gens, il faut qu’ils connaissent leur cerveau ; c’est pour cela que j’ai pris le parti de la vulgarisation : pour m’adresser à tout le monde.
Vous dénoncez les souffrances et le gavage de connaissances parfois présents dans système scolaire français…
La méritocratie devient parfois la ‘souffrançocratie’. Au point qu’il y a de nombreuses dépressions parmi les étudiants des grandes écoles, certains même se suicident… le système n’éduque pas à la joie d’apprendre et privilégie en effet le gavage de connaissances. Or lorsqu’on mange sans appétit, on a le foie gras, et lorsqu’on mange des connaissances sans appétit, on a le cerveau gras ! Je suis pour que l’enfant acquière la connaissance par lui-même avec un maximum d’autonomie le plus tôt possible, comme le recommandaient les Grecs. C’est d’ailleurs le poète Aristophane qui disait : « que l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’il faut allumer ».
Quel est le rôle des sciences aujourd’hui ?
Normalement, les sciences sont là pour épanouir l’être humain et le libérer. Or aujourd’hui on observe deux grand tendances dans la recherche mondiale : ceux qui veulent fermer la science et ceux qui veulent l’ouvrir… Moi je fais partie de la deuxième catégorie : pour une ouverture totale de la science, sans ambiguïté ; je suis pour la ‘science citoyenne’, c’est-à-dire pour le fait que les citoyens participent à des programmes de recherche.
- Comme le projet Galaxy Zoo, créé en 2006 qui permet à des milliers d’internautes d’observer des images du ciel générées par des télescopes et de classifier des millions de galaxies, aboutissant à des découvertes.
- Ou Terence Tao, mathématicien australien, il s’est appuyé sur des résultats du projet de mathématiques collaboratives Polymath pour confirmer en 2015 une conjecture énoncée quatre-vingts ans auparavant !
Vous mettez en lien des domaines aussi divers que les mathématiques,
la sociologie, la littérature et la philosophie.
Pourquoi cette transdisciplinarité est-elle si importante ?
Car la transdisciplinarité, c’est revenir à l’unité de l’âme humaine. C’est ce que faisaient les humanistes : Rabelais, de Vinci, Michel-Ange, tout comme le faisaient avant les « hommes complets » de Bagdad et d’Andalousie – al Ghazali, Roum, Ibn Arabi – ou même ceux d’avant – Aristote et Zoroastre. Ils étaient dans l’unité des savoirs et de la conscience. Or l’unité de la conscience est l’un des grands instruments de notre libération, car la conscience est une. La science seule ne peut pas libérer l’être humain. Ce qui le libère, c’est la sagesse ; c’est d’ailleurs pour cela que j’ai fait une thèse de littérature comparée sur le soufisme, car je pense que notre civilisation s’intéresse beaucoup trop aux sciences et techniques et pas assez aux humanités.
N’est-ce pas risqué de mettre en lien sciences et spiritualités ?
Non, car la science et la spiritualité sont deux besoins de notre identité. On serait d’ailleurs étonnés de voir que les plus grands chercheurs de l’histoire humaine étaient profondément versés dans la spiritualité : Newton se considérait et se présentait comme un alchimiste, pas comme un physicien ; la totalité des travaux d’Einstein viennent d’une intuition spirituelle qui est que les lois de l’Univers sont les mêmes partout ; le Big Bang est une théorie que a été lancée par l’abbé Georges Lemaître sous le nom magnifiquement spirituel d’atome primitif. Newton, Einstein, Berkeley… tous étaient profondément spirituels et cela n’entravait pas leurs travaux scientifiques, au contraire. Ils puisaient dans leur intuition et leur sensibilité.
" Le savoir est la seule richesse que l'on puisse entièrement
dépenser sans en rien la diminuer. " a. hampaté bà
Proposé par Dominique Bart
Pour aller plus loin : http : //idrissaberkane.org