Rencontre entre les cultures et métissage culturel
Publié le 25 Mai 2012
« LES CARNETS DU YOGA »
n° 301 / novembre 2011
présenté par Catherine Cuney
Entretien avec Jacques AUDINET pages 4 à 10
Jacques AUDINET est sociologue et anthropologue. Professeur émérite des universités, à Metz et à l’Institut catholique de Paris. Il a enseigné aux Etats-Unis, au Canada et dans divers pays d’Amérique latine. Ses déplacements lui ont procuré des expériences fortes autour de la diversité humaine, de la rencontre entre les cultures et du métissage culturel qui ont marqué son enseignement.
Invité à intervenir lors des Assises nationales de la FNEY (Fédération Nationale des Enseignants de Yoga) et lors d’un séminaire des formateurs des Ecoles Françaises de Yoga (EFY), il a également donné une interview à la revue « les Carnets du yoga » dont voici un extrait :
L’importation du yoga et son implantation dans notre culture sont-elles, pour vous, un métissage ?
Dans l’un de vos écrits, vous faites référence « au corps et à la violence ». Le yoga s’adresse au corps. Comment voyez-vous son rapport au métissage ?
La venue du yoga en Occident représente, en effet, la rencontre d’une tradition née dans un autre lieu de la Terre. En ce sens, elle est « étrangère ». Aussi, par rapport au yoga, retrouve-t-on toutes les attitudes que l’on peut avoir par rapport à l’arrivée de l’étranger. Le rejet inconditionnel, qui ne voit en lui que le mal. L’ignorance, qui le caricature en exotisme et se rit de son étrangeté. L’exploitation, qui le tire vers autre chose que lui-même et veut, à bon compte, en faire profit. Mais il s’agit de le reconnaître pour lui-même, c’est-à-dire comme une pratique, née dans de lointaines cultures, lointaines dans le temps et l’espace, rodée au cours des millénaires et qui tente d’offrir un chemin à l’humanité.
A partir de là, l’échange fructueux peut s’établir. En reconnaissant d’abord l’originalité du yoga par rapport aux traditions de l’Occident. En premier, la démarche qui est la sienne. Le travail du corps ouvre une voie qui est justesse, fraîcheur d’esprit, allégresse. Non que l’Occident ait totalement ignoré cela, Mircéa Eliade le rappelle (*), mais force est de reconnaître que la rationalité moderne l’a quelque peu oublié. En découvrant ensuite la très grande richesse d’expérience et de pensée dont il est porteur. C’est un autre univers qui, peu à peu renvoie aux « attitudes permanentes et fondamentales qui s’imposent à tout être humain lorsqu’il cherche la sagesse » pour reprendre une expression de Pierre Hador (*). D’un tel dialogue surgit alors la nouveauté. Aussi imprévisible et porteuse d’espérance que l’enfant qui naît.
Dans nos sociétés, où les prodigieuses transformations, tant technologiques que culturelles, suscitent une terrible violence, au risque de détruire l’humain, le yoga offre un espace où des femmes et des hommes prennent le temps et se donnent les moyens de cette quête de sagesse. Et pour eux-mêmes, et pour les sociétés où nous sommes, il offre un espace de créativité et d’invention d’humanité.
Pour conclure, que souhaitez-vous pour nos lecteurs ?
Une telle rencontre des cultures s’opère en chacune et chacun d’entre nous. Elle fascine, car elle ouvre à la nouveauté. Elle effraie, car elle invite à être transformé par l’autre. Chacune et chacun découvrent à son rythme.
L’originalité du yoga est justement de permettre, par la pratique, l’exploration d’un autre paysage, du paysage de l’autre et de sa propre différence. De là, accueil, échange, transformation. Rien de brutal, mais chemin faisant, les routines de la vie quotidienne se trouvent mises en lumière, questionnées, déplacées.
Les contraintes se dénouent, l’être trouve son ampleur, il devient possible de « respirer ». Que souhaiter d’autre, sinon, que chacune et chacun, à sa manière, trouvent son chemin et y avancent…
(*) Mircéa Eliade : « Patanjali et le yoga », Seuil, 2004
(*) Pierre Hador : « Qu’est-ce que la philosophie antique » Gallimard Folio, 1995