THOREAU et la désobéissance intérieure.

Publié le 9 Octobre 2019

KAISEN

N° 46 – Septembre/Octobre 2019

 

D'après un article de GILLES FARCET    Écrivain

 

L’écrivain et philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862) fut le pionnier de la désobéissance civile, concept repris notamment par Gandhi. Il refusa de payer ses impôts à un gouvernement cautionnant l’esclavage et ce positionnement lui valut un bref séjour dans la geôle de son village, qui lui inspira l’essai « Civil Disobedience ».

Mais la grande affaire de Thoreau, ce fut la désobéissance intérieure, tout à fait compatible avec la désobéissance civile.

Désobéir intérieurement oui, mais à quoi ?

A l’ensemble de nos conditionnements, préjugés, présupposés, en bref à tout ce qui en nous-mêmes relève de l’aliénation. S’il est très connu pour avoir vécu deux ans dans les bois, en grand précurseur de l’autosuffisance, épisode qui donna lieu à « Walden », classique de la littérature américaine, son projet fondamental n’était pas d’ordre protestataire, mais d’ordre spirituel.

 

Imprégné de textes hindous tels que la Bhagavad Gîtâ, Thoreau cherche avant tout à toucher sa nature originelle, le visage « qui était le sien avant qu’il ne soit né », dirait le zen. Ses pratiques écologistes, ou « alternatives », avant la lettre traduisent sa quête intérieure de la vie consciente et délibérée.

« Je suis allé dans les bois parce que je souhaitais vivre délibérément, ne faire face qu’aux faits essentiels de la vie et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu’elle avait à enseigner, et non découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n’avais pas vécu… »

Car Thoreau a compris que si l’éducation reçue, les religions, l’idéologie dominante quelles qu’elles soient, nous aliènent, la désaliénation profonde ne peut venir que d’une émancipation intime.

En cela, il s’avère très proche du sage Swami Prajanapad (1891 – 1974), connu comme le maître d’Arnaud Desjardins, pour qui « nos pensées sont des citations, nos émotions des imitations, nos actions des caricatures » et qui prône un passage au crible de tout e que nous tenons pour acquis.

 

Le « travail spirituel » consiste d’un certain point de vue à désobéir. Désobéir à nos habitudes, à la mécanique des jugements et donc des exclusions, la mécanique des réactions commises sous le coup de l’émotion, la mécanique de l’obsession de la sécurité et du confort…Cette désobéissance.

« La désaliénation profonde ne peut venir que d’une émancipation intime ».

C'est sans doute la plus exigeante et aussi la plus puissante. C’est le véritable sens oublié, de la « guerre sainte ». Les révolutionnaires les plus radicaux n’ont laissé derrière eux aucune trace sanglante. Les révolutions qui ne substituent pas une nouvelle aliénation à l’aliénation ancienne sont toujours pacifiques, ce qui n’exclut pas radicalité et fermeté. Elles prennent place d’abord dans les consciences.

A ce stade, autant me taire et encore citer Thoreau : 

« Installons-nous, remuons nos pieds et enfonçons-les dans la boue et la fange de l’opinion, des préjugés, de la tradition, de l’illusion, de l’apparence, des alluvions qui couvrent le globe (…) l’Eglise et l’Etat, la poésie et la philosophie et la religion, jusqu’à ce que nous arrivions à fond solide et aux rochers en place, que nous pouvons appeler réalité, et que nous disions : ceci est, pas d’erreur. »

 

Proposé par Catherine Cuney et Martine Oehl

 

  1. Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois, l’Age d’homme, 1990

Pour aller plus loin

  • Gilles Farcet, Henry Thoreau : l’éveillé du Nouveau Monde, Albin Michel. Espaces libres. 1990.
  • Gilles Farcet, Arnaud Desjardins ou l’aventure de la sagesse, Albin Michel, Espaces libres, 1992

 

Rédigé par UCY

Publié dans #Spiritualité-philosophie

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