Le sage et le savant

Publié le 14 Octobre 2020

KAISEN

N° 48 – Janvier, février 2020

 

D’après un article de Dominique Bourg, philosophe

 

Il fut un temps où les connaissances étaient inséparables de la sagesse, elles en étaient même le fondement.

La chose est vraie tant des sociétés traditionnelles, dotées d’écriture que des sociétés orales. La figure du sage n’est jamais très distante de celle du savant. Tel ne semble pas être le cas depuis les temps modernes, la connaissance est devenue le prétexte d’une fuite en avant, d’une transgression de toutes les limites, tant sociales que naturelles.

 

Aux origines de la pensée occidentale, le recouvrement de la connaissance et de la sagesse est une évidence sémantique, le mot sophia enveloppant les deux sens.

Pour Platon, il n’est de sagesse possible que découlant de la connaissance de la contemplation du Bien.

Aristote, en revanche, désolidarisera quelque peu la sagesse de la connaissance en reconnaissant la spécificité et l’opacité de la pratique, de l’action.

L’homme sage et vertueux l’est par acquisition de dispositions en matière de comportement, de vertus, plus que par celle d’un savoir spéculatif. Mais en même temps, il va de soi que l’homme vertueux cherche à épanouir sa raison spéculative par les sciences et la philosophie, sa raison pratique en participant à la vie de la Cité, et cultive sa sensibilité par les arts.

La tradition bouddhiste rassemble sagesse et connaissance dans la figure du moine -philosophe et praticien de la méditation-.

Le christianisme sépare en revanche le saint du savant, mais le théologien maintient une forme de lien entre connaissance et sagesse.

 

Du côté des cultures orales, les deux peuvent être distinctes :

Le druide, par exemple, détenteur du savoir-sagesse, ne se confondant pas avec le chaman. Mais là encore, quand ils ne se confondent pas, le sage et le savant ne sont jamais loin l’un de l’autre. Qu’on me permette de livrer une anecdote racontée par Jean-Marie Pelt dans l’une de ses conférences.

« Se promenant avec un chaman africain. Pelt tombe sur une plante inconnue de lui. Il se tourne vers le chaman pour s’enquérir de sa connaissance. Lui aussi en ignorait tout. Mais il entre alors en transe pour chercher l’information auprès de son grand-père disparu et obtient de la sorte l’information demandée par Pelt... »

 

Or tout change avec les temps modernes. La science n’est plus ce qui permet de nous situer au sein de la nature, mais de nous y substituer. Il convient, disait Francis Bacon dans La Nouvelle Atlantide, de « faire incessamment reculer les bornes de la nature ». Quatre siècles plus tard, le vivant, et au premier chef les insectes, s’effondre à grande vitesse autour de nous.

Nous aurons atteint les deux degrés d’augmentation par rapport à la température moyenne préindustrielle en 2040, et sortirons ainsi du plafond des températures qui prévalait depuis près de trois millions d’années, auquel toutes les espèces sur Terre étaient adaptées. Nos connaissances auront débouché sur une folie suicidaire.

 

Terminons sur un signe de réconciliation de la sagesse et du savoir, celui qui nous est donné aujourd’hui par la permaculture.

Le retour à la terre de gens jeunes, souvent hautement diplômés, avec la volonté de tourner le dos aux pratiques destructrices de l’agriculture conventionnelle, prétendument « science based », est un signe encourageant du retour de la sagesse.

On la retrouve aussi chez les Aborigènes d’Australie, leur holisme et leur respect de la communauté des êtres vivants, leurs pratiques agricoles, et leur savoir issu de la science des écosystèmes, notamment quant à la complémentarité des espèces de plantes différentes.

Puissions-nous nous en inspirer !

 

Proposé par Catherine Cuney et Martine Oehl

Rédigé par UCY

Publié dans #Environnement-écologie, #Spiritualité-philosophie

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