Une expérience de l’enseignement et de la pratique du yoga avec des personnes accueillies en hôpital de jour psychiatrique
Publié le 27 Avril 2011
Les Carnets du Yoga
N° 295 - mars 2011
« Jardin abandonné » - Extrait du mémoire de Professeur de Yoga de Christine Roussel
Dans ce dossier, Christine Roussel explique pourquoi elle a choisi de privilégier la médiation corporelle avec les patients psychotiques, après avoir constaté qu’en institution, la place du corps est souvent secondaire, voire désertée. Elle pose l’interrogation suivante : « Parler du corps ou le laisser parler ? ».
« Chaque sensation qui peut être reconnue,
chaque parcelle du corps qui peut être ressentie
est de la terre ferme que l’on conquiert sur le processus de la psychose. »
Gisela Pankow
A l’hôpital de jour, le yoga est entré par la fenêtre de mes inspirations…
Le yoga propose de coordonner le souffle au mouvement dans une attention soutenue, d’être à l’écoute des sensations. Séances pour ceux qui le souhaitent, en petits groupes ou en individuel, dans un lieu calme, qui s’ouvre sur le jardin.
A l’hôpital de jour, la relation à la personne psychotique privilégie la médiation
qui prend place de tiers et offre un support pour le patient, la possibilité d’investir un espace intermédiaire et de vivre sans trop de dommage son incapacité à la relation duelle. Toute médiation suppose l’exploration préalable du potentiel thérapeutique qu’elle contient, afin de repérer au mieux la nature des investissements psychiques du patient. C’est en cela qu’elle devient espace pour penser la relation.
L’atelier yoga offre au patient la possibilité de tenter l’expérience de son corps propre,
pris en compte avec tous ses désordres, ses confusions, dissociations et tentatives d’aménagement. L’expérience s’appuie sur le respect de la personne, dans sa capacité à être et ses limites à éprouver.
"Un préalable de ce travail psychocorporel consiste pour le professeur
à trouver la distance qui permet d’être dans une relation non intrusive."
La pratique du yoga va favoriser une reconstruction ou une consolidation du schéma corporel
à partir d’exercices de décentration et de centration qui viennent expérimenter la frontière entre le corps propre et l’espace en limitant les excitations externes (calme d’un lieu clos, lumière douce, silence requis dans la posture installée etc.). La séance guidée par la voix offre, au-delà du commentaire postural et respiratoire, une enveloppe sonore bienveillante qui accompagne le patient, le conduit peu à peu vers une présence interne.
Privilégier une pratique tonique
Plutôt qu’une pratique relaxante, je propose une pratique tonique, « unifiante », qui permet de ressentir les effets du travail, de faire émerger des situations concrètes à la conscience parasitée par une pensée subdélirante. Cependant, certaines pratiques jugées trop intenses, excitantes, voire inquiétantes, seront à éviter. Le travail en ouverture sera amené très progressivement.
Un travail primordial de renforcement du dos
Dans le yoga de Madras, lignée à laquelle je me réfère, la pratique privilégiée est celle debout car Sri T. Krishnamacharya disait qu’elle était la plus proche des mouvements du quotidien. Cependant, je propose pour commencer un travail salutaire au sol, en décubitus dorsal. Travail qui se veut tonique puis relaxant, d’étirement, d’extension, d’enroulement et de torsion. Partir du besoin pour ces patients de sentir ce dos, le renforcer pour ensuite, mieux se redresser. La dépression qui se surajoute à la psychose se lit dans le haut du dos : cyphose prononcée, épaules enroulées…
Expérience de discernement
La pratique posturale s’oriente sur la prise de conscience des appuis qui vont structurer la posture. Etablir des appuis solides et stables, en élargissant les points de contact au sol, introduit un renforcement pour relâcher les tensions inutiles.
Dans ce travail de repérage, les différentes régions du corps sont nommées, figurées, engendrant un processus d’identification, secondairement d’appropriation.
Ce travail devient travail sensoriel par l’écoute affinée (bruits externes et internes), par le toucher sur des zones privilégiées (mains jointes, mains sur ventre, ventre contre cuisses..).
L’odorat est ravivé par le travail respiratoire.
La vision s’oriente sur des points d’appui précis.
Le goût se lie aux sensations : goûter le souffle, la sensation de l’effort. Il devient expérience de discernement.
Ce travail sensoriel vient réparer, tisser, densifier une unité mise à mal, réconcilier un corps fragmenté.
En conclusion
La pratique du yoga nous invite sans cesse à des allers et retours entre vivre notre corps et le comprendre, dans des rapports étroitement corrélés et dynamiques. Certaines personnes ne peuvent exister à elles-mêmes, ou seulement d’une manière fragmentée et douloureuse, parce qu’à l’aube de l’existence, leur corps n’a pu être reconnu intégralement.
"Comprendre dans le sens de « prendre avec »
revient à faire de la place à ce corps délaissé, rejeté,
et à lui donner une parole qui n’est plus nécessairement langagière,
mais fondatrice d’une présence au monde : entre chair et souffle,
s’insinue un désir, aussi diffus soit-il, d’être là. "
Pour aller plus loin : revue disponible à la bibliothèque de l'UCY
j’ai extrait un aperçu de la démarche de C. Roussel, ceci afin de donner aux lecteurs
du blog de l’UCY l’envie de compléter ces éléments par une lecture du dossier en totalité,
de la revue qui se trouve à la bibliothèque.
Présenté par Catherine Cuney