« Il faut aimer ce qui se présente »

Publié le 8 Février 2010

 

Sources

 

 n°12  Août/septembre/octobre 2009

 

 Extraits de l'entretien avec Eric Baret

  

Le travail d'Eric Baret est fondé sur l'écoute respectueuse des sensations corporelles. Il s'agit bien, en effet, de vivre avec ce qui est ressenti – car une démarche spirituelle n'est rien d'autre que de vivre avec ce qui est là, et dont rien ne saurait nous être étranger. 

Dans ce qui est là – sous réserve qu'on lui soit attentif et qu'on ne prétende pas que ce devrait être autre chose –  réside la beauté. 

Car « savoir » empêche l'écoute, l'ouverture. La disponibilité, la liberté sont à ce prix. Aimer ce qui se présente, c'est témoigner de l'amour et du respect envers la vie ; c'est aussi ce qui permet de sortir de la souffrance.

Eric Baret, qui fut l'élève de Jean Klein, transmet un enseignement qui a pour sources principales l'advaita-vedanta et le tantrisme cachemirien. Il pointe les pièges du mental, et notre tendance perpétuelle à ajourner, projeter, récapituler, pour éviter d'affronter l'instant – la seule réalité.

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Comment se passait l'enseignement avec Jean Klein ?

 

Ca ne se passait pas ! C'est cela qui était l'essentiel de son enseignement, il n'avait pas de forme. L'enseignement existait dans les entretiens publics, mais c'était son enseignement extérieur. Le véritable enseignement était de vivre avec lui, de voir combien il ne prétendait à rien et vivait dans un non-savoir, c'est-à-dire libre à chaque instant. Quand on le mettait sur une estrade, qu'on lui posait une question, il répondait comme un guru. Quand on lui mettait un violon dans les bras, il devenait musicien, c'étaient des rôles extérieurs. Ce qu'il transmettait dans ses séminaires – le yoga, le vedanta – s'ajoutait à son véritable enseignement, qui était le silence. Et cela, c'était avec lui à chaque instant.

 

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Ce que vous transmettez maintenant, lors de vos séminaires, est du même ordre ?

 

C'est très différent. Moi je ne suis pas un guru et je n'ai donc pas cet enseignement. Je n'enseigne rien en fait, mais j'ai la conviction que la seule problématique est psychologique et qu'elle est inutile. Si un enseignement passe, c'est le suivant : à chaque fois que l'on prétend avoir un problème, c'est un ajournement du véritable problème qui, lui, ne se situe pas dans un contexte objectif mais est à la base de tous les contextes objectifs... Il s'agit d'amener la personne à découvrir une intimité dans laquelle elle va pouvoir essayer d'éclore en elle ce problème originel qui, en réalité, est la porte de la liberté de son problème. Tant qu'on ne laisse pas éclore cela, tant qu'on le vit symboliquement en situation, on passe d'un problème à un autre sans jamais de conclusion.

 

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Pour quelles raisons pratique-ton ?

 

Pourquoi un musicien joue-t-il ? Pour rien. S'il est un vrai musicien, il joue parce qu'il est habité par la musique et qu'il ne peut pas faire autrement. Le danseur danse, le yogi fait du yoga, c'est complètement libre. Ils ont pressenti que l'essence de la vie est justement ce rien. Cela ne sert à rien, et c'est cela l'essence de l'art.

 

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Vous dites qu'à un moment on découvre que les asanas éveillent les archétypes de la conscience ?

 

Oui, les asanas sont les positions dans lesquelles le corps se meurt le plus rapidement, dans lesquelles les possibilités de la conscience s'extériorisent le plus majestueusement. Les grandes asanas sont ceux dans lesquels il y a révélation. Ce sont des poses archétypes qui sont à l'origine des espèces – pas au sens scientifique du terme – mais des espèces architecturales de la vie... Ce ne sont jamais des poses acrobatiques, démonstratives, parce qu'elles doivent être « tenues » le temps nécessaire à cette sorte de révélation  de la perte de son identité supérieure, mais pas dans le sens psychologique du terme.

 

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Y aurait-il une équivalence entre vie, beauté et émotion ?

 

Et mort. Tout cela exprime l'intensité de la vie. La beauté d'une rose c'est qu'elle va mourir...

Vous vous rendez compte que, lorsque la forme a disparu, il reste toujours l'essence de la chose. Cela c'est le cœur du yoga à tous les niveaux. Lorsqu'on fait une pause, le moment le plus important c'est lorsqu'on a fini la pause, que la pause se meurt, qu'il n'y a plus aucune mémoire...

Pour nous l'essence d'une chose, sa révélation, c'est sa mort. La présence est uniquement là pour attirer l'attention. Quant on laisse mourir un objet, le sujet qui regarde l'objet meurt également parce qu'il n'y a pas de sujet sans objet. Il y a vraiment présence, dans tous les sens de la tradition cachemirienne. Cela se transpose dans les asanas, la musique, la vie de tous les jours, dans la violence ou la tendresse, c'est la même chose. Donc l'émotion est le cœur de la tradition...

Il n'y a que l'ignorance, la prétention qui peuvent évoluer ! La beauté ne peut pas évoluer. Un nuage est, il n'est plus. C'est la société, l'égo, la personnalité qui ont des valeurs, trouvent cela supérieur ou inférieur...

 

Par Monique Guillin

 

Rédigé par Denis Brossier

Publié dans #Spiritualité-philosophie

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