Le départ d'Arnaud Desjardin
Publié le 19 Août 2011
Revue Clés
Marc de Smedt
Arnaud Desjardins vient de nous quitter, la nuit du 10 août 2011, à 86 ans.
Cette formidable figure de la spiritualité en France venait de publier un livre : 'La Paix toujours présente' à la Table Ronde qu’il disait être le dernier : c’était prémonitoire.
Il y fait la synthèse de ce qu’il a appris, reçu et transmis au fil d’une existence incroyablement riche et féconde. Devenu réalisateur de télévision, il tourne en effet dans les années 60 une série d’émissions consacrées à l’Inde spirituelle, puis aux maîtres tibétains en exil, aux soufis d’Afghanistan, pays alors paisible et accueillant, jusqu’au Japon où il découvre l’univers des temples zen.
Ces films, qui connurent un grand succès lors de leur diffusion, lui permirent de rencontrer et vivre auprès de personnages exceptionnels tels la sainte Ma Ananda Moyi, le Dalaï Lama ou le maître zen Deshimaru, pour ne citer qu’eux. Il fera aussi passer leur message, qui deviendra le sien, par de nombreux livres et des enseignements oraux.
Dans ce livre il aborde aussi bien la question de notre libre arbitre, que la façon de gérer notre quête intérieure en sachant discriminer les énergies saines et malsaines en nous.
Pour lui, chacun de nous possède en soi un espace spirituel fait de calme et de sérénité qu’il s’agit de découvrir sous la masse de nos pollutions psychiques et émotionnelles.
Il rappelle que pour réussir notre parcours intime d’évolution nous avons besoin d’un véritable entraînement moral, intellectuel et physique.
Chez les anciens grecs le mot ascèse signifiait : l’art de s’entraîner. A chacun de trouver sa façon de faire !
C’est là tout le sujet de ce rare témoignage, qui nous enseigne à retrouver un équilibre fondamental orienté vers l’essentiel.
Arnaud fut l’une de mes toutes premières interviews en 1969, quand, jeune journaliste, je travaillais au n° spécial Planète Plus sur le saint hindou du 19ème siècle Ramakhrishna (réédité depuis au Courrier du Livre).
Je me souviens lui avoir posé la question de savoir si, sur la voie spirituelle, on pouvait atteindre une étape ultime, un samadhi définitif, quoi !
Il avait éclaté de rire et m’avait répondu :
« oui, on traverse des étapes pour s’apercevoir en fait que c’est toujours plus loin ! »
C’est un être magnifique qui disparaît aujourd’hui. Il avait su défendre les principes d’une spiritualité laïque ouverte, tolérante et profonde, adaptée à notre temps.
J’écrirais longuement sur lui plus tard mais je tenais, dans l’émotion de cette triste nouvelle, à dire quelques mots sur cette personnalité majeure, cet ami, cet être humain éveillé dont beaucoup ont su apprécier la sincérité, la bienveillance et la présence.
Quelques phrases prises dans un entretien avec
Arnaud Desjardins:
« Le but de la voie est toujours la mort de celui qu’on a été afin de vivre à un tout autre niveau. »
« Je ne suis pas avant tout un écrivain, mais un ancien disciple qui assume de guider d’autres hommes et d’autres femmes sur le chemin qu’il a lui-même suivi, et je veux le faire dans la discrétion et la sobriété. »
« Personnellement, je me considère avant tout, et je dirais même presque exclusivement, comme un homme dont les intérêts permanents ont toujours été spirituels et même mystiques, et qui s’engage de plus en plus profondément dans cette ligne à mesure que les années passent. »
« Les apparences contredisent parfois totalement l’idée qu’on se fait du mystique. C’est une question purement intérieure. »
« ..on n’a pas besoin de partir, comme disait maître Deshimaru, vivre dans une grotte, mais qu’il faut se rendre compte que, par la méditation, nous pouvons être et la grotte et la montagne. »
« En même temps, il faut bien admettre et dire et redire que le détachement intérieur est fondamental. On ne peut à la fois vivre avec tous les désirs, toutes les peurs, toutes les protections, toutes les ambitions, et passer sur un autre plan. »
« ...C’est la grande fermeté du gourou pour bousculer la force d’inertie des habitudes émotionnelles et mentales de celui qui les approche. »
« Je veux dire que la sagesse doit pouvoir éclairer la totalité de la réalité. Il est précieux que certains êtres nous fassent plus directement entrevoir ce qui est absolu, transcendant, mais il est précieux aussi que certains maîtres soient insérés jusqu’au cou dans le concret, dans le relatif avec des contradictions, et qu’ils nous les montrent éclairées par une certaine lumière qui est celle de la liberté et de la compréhension. »
« Tous les maîtres reconnus que j’ai rencontrés en Asie et en Europe affirment que la voie est longue, laborieuse, qu’elle demande beaucoup de courage, de persévérance, d’acharnement même, alors que la plupart de ces groupes en tous genres qui prolifèrent aujourd’hui promettent beaucoup en très peu de temps :
-à les entendre, on a l’impression qu’un stage de douze jours au mois de juillet- va vraiment transformer en profondeur, ce qui est en contradiction flagrante avec l’expérience de toutes les formes d’ascèse depuis toujours. »