Le corps du yogi pose de nouvelles questions sur le monde
Publié le 15 Mai 2012
Santé Yoga
N° 126 / Mars 2012
Présenté par Dominique Bart
Anne Cécile HOYEZ, géographe et chercheuse au CNRS,
dresse un panorama de ce qu’elle nomme « l’espace-monde du yoga » : à partir de l’étude du corps envisagé comme espace géographique, elle décrit un phénomène devenu transculturel, transfrontalier et hétérogène.
En nous transformant, le yoga change
nos perceptions des espaces et donc du temps.
Par Cécile Chadelat
SY. Quelles transformations avez-vous perçu durant votre étude chez les pratiquants de yoga dans leur relation à l’espace ?
Une des dimensions sociales du Yoga induit bien une modification du rapport à l’espace, que l’on vive en milieu urbain ou rural. Par exemple, l’environnement urbain est en général vu de manière négative, préjudiciable à la santé, par contraste avec le milieu rural, souvent idéalisé. Mais par le biais de la pratique, ces éléments néfastes se trouvent transcendés.
Le cours de yoga permet en effet de s’extraire du quotidien. J’ai remarqué, avant et après les cours, de nombreux petits « rituels » sociaux inscrits dans l’espace, favorisant la création d’un moment propice de réception des bénéfices du yoga. De plus, le pratiquant tente de remodeler la vision de son environnement de manière positive. Il y a une conscience plus aiguë d’où l’on est, de ce que l’on fait. Cette échappatoire passe par le corps.
SY. La mondialisation correspond à une compression du temps et de l’espace, or la posture de l’apprenti yogi est de vivre pleinement le moment présent…
L’accélération du développement de ce que j’appelle « l’espace-monde du yoga » ces dernières années est liée au phénomène de mondialisation des idées et des savoirs. Les phénomènes sociaux, culturels et politiques à l’échelle du monde ont été bouleversés et accélérés, se répercutant directement sur le yoga. Mais d’un autre côté, sa propagation modifie les sociétés, que ce soit en France ou en Inde, en reproduisant des lieux propres au yoga, avec des marqueurs de références à l’Inde. Par la pratique, c’est comme si les personnes arrivaient à s’extraire et à suspendre le rythme du temps.
SY. Dans quelle mesure une pratique sur le corps est-elle un acte de liberté ?
Le corps est l’échelle d’étude la plus fine en géographie. Le maîtriser, constitue, selon les mots de Foucault, une capacité à contrôler et à agir sur la liberté. L’intérêt du yoga semble résider dans la quête qui consiste à sortir d’un corps normé, et qui plus est dans notre culture, d’un corps peu valorisé. En cela, il constitue un instrument de pouvoir et de résistance, car les espaces-corps deviennent des espaces-mondes.
Beaucoup de pratiquants soulignent que c’est à partir des échelles des corps que se produisent les changements sociaux. Par ailleurs, sur un plan plus symbolique, l’espace-monde du yoga bouscule le rapport dominant-dominé entre Nord et Sud.
SY. La prise en compte de l’existence de ce « monde intérieur » participe-t-elle à un renouvellement de votre discipline, la géographie ?
Une des premières avancées consiste déjà dans le fait que l’approche géographique d’un phénomène mondial tel que le yoga puisse être étudiée.
Eh oui, il y a comme un nouvel horizon d’étude, dans la mesure où le rapport à l’espace n’est plus seulement physique : il existe aussi un imaginaire spatial.
Lorsque, pour se relaxer, l’apprenti yogi se transporte, par le biais de l’esprit, dans des lieux qu’il apprécie, cela pose des question nouvelles sur la conception de l’espace et du monde. L’espace-corps devient comme un reflet de cet espace-monde imaginé.
La manière dont les personnes pratiquent, perçoivent et produisent l’espace et les lieux est modifiée.
La propagation du yoga modifie les sociétés !