La place de l'engagement citoyen dans votre vie centrée sur la spiritualité ?
Publié le 17 Juillet 2013
Sources
pour une vie reliée
N°22 Avril/Mai/Juin 2013
Question posée à Véronique Desjardins, épouse et collaboratrice d'Arnaud Desjardins pendant 25 ans. Elle a dirigé la collection "Les Chemins de la Sagesse", aux éditions de la Table Ronde. Elle poursuit ses activités – séminaires, animation de rencontres – dans la ligne de ce qu'Arnaud Desjardins lui a transmis.
Revue Source : Quelle est la place de l'engagement citoyen et de l'action sociale, dans votre vie centrée sur la spiritualité ?
Véronique Desjardins : Je n'ai pas d'engagement citoyen particulier, hormis le fait de voter à l'élection présidentielle, d'envoyer des chèques à quelques associations humanitaires, trier les déchets ménagers – ce que fait à peu près tout un chacun. Je m'intéresse à certains événements politiques, mais je ne regarde pas régulièrement le journal télévisé... Je préfère les reportages qui apportent l'espoir et nous rappellent la dignité de l'être humain.
Je suis persuadée que chacun a un rôle différent à jouer au sein de la société, en fonction de sa nature et de son parcours - de son destin -, et que l'engagement ne peut pas être le même pour tous.
En ce qui me concerne, je tente d'aider les personnes qui s'adressent à moi – dans la continuité de tout ce que j'ai appris d'Arnaud Desjardins pendant plus de trente cinq ans – à devenir un peu plus elles-mêmes et à mieux se situer dans leurs différents rôles, notamment familial et professionnel.
Toute tentative d'aide à autrui,
de dimension apparemment plus intérieure que sociale,
finit toujours par avoir un impact extérieur.
Il ne peut y avoir de changement réel et durable dans la société que si les individus qui la composent changent eux-mêmes. En même temps, comme le dit André Comte-Sponville, heureusement que les gens n'attendent pas d'être transformés pour agir. Je me réjouis donc de toutes les initiatives porteuses d'espérance – les oeuvres humanitaires, les actions en faveur de l'écologie... -
La diffusion d'idées spirituelles à grande échelle est aussi
un remède nécessaire aux maux de notre époque... Plus il y aura
de personnes qui prendront le temps de se poser et de méditer,
plus il y aura là aussi un contrepoids, au niveau subtil,
à la frénésie de notre époque...
A ce titre, les milliers et sans doute les millions de pratiquants et de contemplatifs qui s'adonnent à la méditation de façon régulière, même si leur « action » n'est pas quantifiable et ne se voit pas, sont tout aussi importants que les décideurs pris dans le feu de l'action.
Arnaud Desjardins a incité ceux qui s'adressaient à lui à se méfier d'une fausse interprétation de la spiritualité, consistant à se couper du monde. Il a toujours prôné l'insertion familiale et professionnelle, aidant chacun à mieux jouer son rôle dans son environnement propre. Mais il mettait aussi en garde contre un excès d'informations dans des secteurs sur lesquels nous n'avons aucune action possible, estimant que les nouvelles dont nous sommes gavés quotidiennement entraînaient une distraction et une dispersion stériles. Tout dépend, bien sûr, de la position que vous occupez dans la société : on ne conçoit pas qu'un homme ou une femme politique ne soit pas très bien informé de ce qui se passe dans le monde. Mais pour la plupart d'entre nous, c'est une perte d'énergie de nous passionner pour des problèmes de société face auxquels nous sommes totalement impuissants. Mieux vaut nous concentrer sur notre sphère d'action. Les relations quotidiennes qui tissent du lien avec notre voisin de palier, ou le commerçant du quartier.
Je pense qu'il est important de développer une certaine résistance au climat ambiant. Si nous ne sommes pas vigilants, nous ne nous rendons pas compte que nous vivons dans un état de distraction permanent, coupés de nous-même et des autres. Être happé par tout un tas de gadgets et de sollicitations constantes devient pernicieux pour notre vie intérieure. Il faut veiller à ce que nous ingurgitons au niveau psychique, et nous tourner vers ce qui nous nourrit vraiment, nous ouvre le cœur et nous redonne l'espérance.
Concernant notre action dans le monde, les petits gestes que nous posons ont un retentissement dont nous ne pouvons pas toujours mesurer la portée. Un petit geste qui va dans le bon sens fait boule de neige et rayonne sur l'extérieur. Un souvenir me revient, à cet égard. Nous étions dans le centre tibétain de Karma Ling, en Savoie, avec quelques centaines de personnes qui attendaient l'arrivée du Dalaï-lama. Lorsqu'il est entré, il a traversé le temple en souriant, se tournant à droite et à gauche avec un bon regard pour saluer chacun d'entre nous ; en quelques instants, toute l'atmosphère du temple a été changée. Il est probable que chacun des membres de l'assistance est reparti chez lui un peu plus conscient et un peu meilleur. Même si nous ne sommes pas le Dalaï-lama, nous avons toujours la possibilité, dans l'environnement où nous nous trouvons, d'apporter une certaine harmonie, de dissoudre une tension, d’œuvrer pour ce qu'Arnaud appelait la guérison du monde.
Dans un monde corrompu, qui a perdu le sens des valeurs élémentaires comme l'éthique, le respect, l'authenticité, nous devons agir avec intégrité et dignité. Il est important de ne pas magouiller, de ne pas accepter de tremper dans des situations douteuses. Nous pouvons être parfois tentés d'accepter certains compromis pour gagner un avantage à court terme. Mais, par expérience, je peux dire que, dans une vision à long terme, l'intégrité est toujours payante, non seulement pour nous mais aussi pour les autres, car elle fait tache d'huile.
Nous avons tous un sens inné de ce qui est juste et de ce qui ne l'est pas,
et nous devons nous fier à ce ressenti intime
qui nous suggère d'agir tout simplement avec droiture.
Si, un peu partout dans le monde, des personnes osent agir en ce sens,
le monde aura une chance de guérir.
Présentée par Monique Guillin
Pour aller plus loin :
Véronique Desjardins est l'auteur de plusieurs ouvrage, dont :
"L'Anthologie de la non-dualité" (1981),
"Les Formules de Swâmi Prajnanpad" (2003),
"Porte donnant sur la voie" (2008) et
"Ce que vous aurez délié sur terre" (2013).
-disponible à la bibliothèque de l'UCY : voir dans la revue, - la même question posée à : Thierry Vissac, Marc Puissant, Bernard Montaud, suite de l'enquête réalisée par Nathalie Calmé.