« La joie, c'est le fond du ciel »

Publié le 29 Juillet 2010

Sources

 

n°14 Mai/Juin/Juillet 2010

 

par Monique Guillin

 

 

senseiextrait de l'entretien avec

Jôshin Bachoux

 

Luce Bachoux a commencé à pratiquer la méditation zenau début des années quatre-vingt.Une pratique qui devient pour elle essentielle, ce qui la conduit au Japon où, dans le petit monastère de Zuigakuin, elle passera plusieurs années sous la conduite de Moriyama Roshi, maître de l'école Soto Zen et fidèle perpétuateur de la tradition de Maître Dogen.

Ordonnée moniale, elle reçoit en 1990 le « sceau de la transmission » et, devenue Jôshin Sensei, rentre en France à la demande de son maître pour y fonder un monastère.

Une ferme du plateau ardéchois devient « La Demeure sans Limites », un lieu d'accueil pour ceux qui, entre tradition japonaise et vie occidentale, veulent revenir à eux-mêmes en expérimentant la pratique de la méditation assise associée au travail manuel conscient, selon l'usage équilibré des monastères zen.

 

Quels furent les éléments déclencheurs et fondateurs de votre parcours spirituels ?

 

A l'âge de trente ans, je menais une vie parisienne bien remplie et satisfaisante. Pourtant, je ressentais un manque que je ne pouvais nommer. J'ai commencé à explorer différentes voies spirituelles, sans qu'une seule ne fasse vraiment écho en moi. Un jour, j'ai réalisé qu'il fallait que je fasse vraiment quelque chose de ma vie, avant qu'il ne soit trop tard. J'ai déménagé pour vivre seule, je me suis inscrite aux Langues Orientales, pour apprendre le tibétain, et j'ai suivi des cours d'art martial. Près de chez moi, il y avait un dojo zen et, un soir, je suis allée m'asseoir. Cette toute première expérience s'est mal passée ! C'était pénible et ennuyeux. Mais, le lundi suivant, j'y suis retournée, ainsi que les autres jours.

 

Une véritable rencontre a eu lieu. Je me suis dit « C'est exactement ce que je cherchais ! ». Très vite, la méditation zen est devenue ma vie. Le zen débute par la pratique de l'assise. On peut, bien sûr, expliquer aux personnes les bienfaits de la méditation. Mais, avant tout, il faut s'asseoir. Il n'y a pas de préparation possible à l'assise en silence. Se retrouver face à soi-même, dans le silence, est un véritable bouleversement.

Pendant plus d'une année, je suis allée m'asseoir le matin et le soir. La méditation du matin ayant lieu à sept heures et demie, je trouvais que c'était très matinal, j'ai donc cessé de sortir le soir. Tout naturellement, ma vie s'est transformée. Lors d'une retraite intensive, je me suis entendue dire : « Quand je serai nonne... » Cette phrase a été pour moi une surprise fracassante.C'était une évidence, une absolue nécessité. Aujourd'hui, après trente ans, cette évidence est toujours là.

 

Vous décidez ensuite de partir pour le Japon pour entrer en retraite dans un monastère...

 

Je suis restée six mois à Tokyo où j'ai travaillé et pratiqué les arts martiaux. Un jour, une personne m'a parlé du Temple Zuigakuin, situé en pleine montagne, près du Mont Fuji, à cinq kilomètres d'un village. C'est un lieu très austère et exigeant. Quand je suis arrivée au temple, le maître Moriyama Daïgyo était absent, il avait pris une année sabbatique ... je me suis retrouvée toute seule dans le temple, en plein hiver... J'ai beaucoup travaillé au ménage et au jardinage... Six mois plus tard, au printemps, le maître est rentré. C'était amusant, car c'est moi qui l'ai accueilli dans son propre temple ! Aussitôt, l'évidence d'une relation maître-disciple s'est installée entre nous. En 1986, il m'a ordonné moine...

 

 

Quels ont été pour vous les moments les plus difficiles ?

Curieusement, ce n'est pas ce que l'on imagine ! A Paris j'avais un agenda et des rendez-vous, aussi bien sur le plan privé que professionnel. Et, tout d'un coup, plus rien ! Il n'y avait plus qu'une chose après l'autre, juste à suivre les horaires du Temple. Demain ressemblerait à aujourd'hui, ainsi que les jours et les mois prochains... On ne peut pas projeter ou attendre. On est là, avec ce que l'on est en train de faire, en méditant, en marchant dans la forêt ou en épluchant les légumes. On ne peut rien faire d'autre. On ne peut pas fuir... L'agenda n'est pas la réalité. Ce qui existe, c'est le moment présent.

 

Après quatre ans passés au temple, puis trois mois en Californie, de retour au Japon, vous recevez le sceau de la transmission, et un an plus tard vous rentrez en France – toujours à la demande de votre maître – pour fonder un monastère bouddhiste...

 

C'est au nord-ouest de l'Ardèche, que j'ai trouvé la terre idéale pour créer La Demeure sans Limites... où toute personne désireuse de venir pratiquer est accueillie... Tous les pratiquants s'interrogent sur la manière dont ils peuvent intégrer la vie spirituelle dans leur vie quotidienne. L'enseignement du bouddhisme zen répond à cette question... or, mon maître dit qu'il faut sortir la méditation de la salle de méditation. Dans le zen, chaque activité est spirituelle. Tout ce que nous faisons est une méditation. Cela ne veut pas dire que nous devons faire faire ces tâches, en se disant : « Attention ! Je suis en train de faire une méditation » Non... méditer signifie faire la chose spontanément, en étant Unavec elle. Ce n'est pas comme on le croit parfois, faire les choses très lentement, en se regardant faire... Dans le bouddhisme zen, les notions de rapidité et de spontanéité sont très importantes. La réflexion compte également... Mais une fois que c'est réfléchi, on fait !

 

 

Qu'est-ce qui fait la différence entre le vie d'un moine et celle d'un laïc ?

 

La méditation est quelque chose de très joyeux, car nous ne sommes plus seuls. C'est tout l'univers qui travaille à notre place et qui nous encourage...

Je ne suis pas joyeuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Mais il y a, en dessous de tout, de la joie. La joie d'avoir trouvé une vie spirituelle, d'avoir été guidée, la joie de recevoir et de donner. La joie, c'est le fond du ciel. Sous les nuages, petits ou gros, il y a le bleu du ciel. Je ne me sens détachée de rien. La joie doit être nourrie par la pratique, au risque de disparaître. Dans le bouddhisme zen, il es dit que c'est la pratique qui nourrit l'éveil. Il n'y a pas d'arrivée définitive.

 

Quel regard posez-vous sur le monde actuel ?

 

Nous devons réveiller individuellement et collectivement, notre part spirituelle. Cela devient urgent. Une des idées fondamentales du bouddhisme est l'interdépendance ; comprendre que je vis avec et grâce à tout ce qui existe, que je ne suis pas un électron libre, occupé seulement de ses bénéfices, mais que je suis reliée à tout ce qui est, que ma vie même est en constante interaction avec les autres et avec le monde... Notre avidité abîme le monde, je ne pense pas seulement au monde physique, mais à toute la souffrance causée aux êtres humains : catastrophes, déplacements de population, misère...

Comme ledit le Dalaï Lama : « Notre plus grand bonheur est d'apporter le bonheur autour de nous ». N'est-ce pas là un beau projet pour le XXI° siècle ?...

 

Pour aller plus loin : www.larbredeleveil.orgsensei.jpg

Rédigé par UCY

Publié dans #Spiritualité-philosophie

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