Cultivateur d’harmonie : la permaculture
Publié le 16 Octobre 2013
Plantes et Santé
N°137
Juillet-Août 2013
Entretien réalisé par Christine Saramito
Rencontre autour d’une philosophie de vie visant à sauvegarder et rapprocher nature et humains.
Warren Brush : Formé en Australie auprès de Bill Mollison, l’un des cofondateurs de la permaculture, en est devenu un expert international. Il lance désormais des formations en Europe.
Plantes&Santé – la notion de permaculture, qui implique bien plus qu’une forme de culture vivrière, est encore mal comprise. Pourquoi ?
Warren Brush – parce que c’est une approche de la vie globale, sur le long terme. Valable pour les humains autant que les espèces, les sols, la nature, les ressources. Bill Mollison, avec lequel j’ai créé un Institut de recherche en Australie, dit que c’est une science et un art d’aménagement durable et global du territoire ! C’est vaste. D’autant que le mot « culture » implique une polysémie… on se préoccupe autant de géométrie des sols, d’architecture en matériaux naturels et peu gourmands, d’équilibres, d’interdépendances, de traitements des eaux usées que d’espèces, humains compris.
On maximalise les interactions en cultivant notamment en étages, avec toujours au moins trois variétés. On pense autant, économie d’énergie que récupération de déchets. D’où la cohabitation avec des espèces animales. On pense cycle, cercle, feedback, respect, partage, etc. A partir de ces bases, on conçoit aussi autrement des communautés ou écovillage. Et on peut aller jusqu’à repenser une entreprise.
P&S – au cours de vos conférences en Europe, vous remettez vite en question le bio pour le bio ?
WB – Il faut que les choses soient claires. Tout ce qui est permaculture est bio, mais tout ce qui est bio n’est pas permaculture ! Je prends souvent l’exemple d’une exploitation toute proche de ma ferme en Californie où on cultive des centaines de rangées de carottes bien alignées (ce que la nature ne fait jamais), qui auront un label bio. Mais à quel prix ?
Une des règles de la permaculture est de tenir compte le mieux possible du milieu d’origine dans lequel l’espèce est apparue. Et aussi des ressources du moment. Or la carotte, peu de gens le savent, est apparue en afghanistan. Un terrain d’altitude, assez froid et très humide. Comment reproduire cela dans une région au climat désertique comme le nôtre ? L’entreprise fore donc très profond parce qu’elle en a les moyens ! Mais pendant ce temps, tous les autres agriculteurs sont privés d’eau. Il faut savoir que notre région n’est toutefois très aride que depuis peu ! Cela ne date que de quelques décennies, quand les mines, qui ont fait la fortune de Los Angeles, avaient un besoin vorace de bois. Tout a été coupé. Et les équilibres s’en sont trouvés bouleversés. Une production massive de carottes dans ces conditions n’est ni durable ni éthique. Heureusement, des processus de permaculture permettent de faire revenir l’eau même dans les déserts. Nous l’avons fait dans ma ferme de Quail springs !
P&S – notre santé peut-elle bénéficier de la permaculture ?
WB – bien sûr, car tout est cycle et feed-back. Il y a toujours un retour de l’action ou de l’information lancée. Un sol sain et bien traité, c’est autant de chances supplémentaires que nos plantes ou aliments donnent le meilleur d’eux-mêmes ! En outre, favoriser les interactions, c’est l’esprit de la permaculture. Or celles, entre le corps et le mental sont importantes, d’autant que le corps se nourrit de l’énergie de la terre. Laquelle se nourrit de la lumière. Et les lois du vivant sont les mêmes pour tout.
Que les choses circulent est bon pour tous les équilibres, sol comme santé. Enfin, notre santé mentale me semble aussi affectée par notre incapacité à créer des relations durables avec une terre en particulier. Il faut sérieusement s’interroger sur l’absence de racines, la perte de mémoire d’une terre, et les migrations forcées liées souvent à l’économie. Cela crée des désastres psychiques.
P&S – vous-même comment prévenez-vous la maladie et comment vous soignez-vous ?
WB – je mange le plus possible du vibrant. En tout cas une nourriture poussée ou élevée là où je suis, et dont je connais la provenance. Et puis des plantes ou des herbes se sont imposées à moi à travers des rêves récurrents. Ainsi l’ortie ou la sauge, j’en ai rêvé plusieurs fois, jusqu’à ce que je me décide à en prendre. Les rêves ont alors cessé ! Ce sont des plantes essentielles pour notre santé et aussi la diversité du biotope.
Où que je sois, je prends le plus possible des herbes locales car chaque environnement a créé ses propres antidotes. Je bois aussi beaucoup d’eau. Et puis un vieil Indien d’Amérique m’a un jour conseillé de faire comme ses ancêtres : en arrivant quelque part, mettre ma main dans la terre et la porter un instant à ma bouche. La terre se sent honorée. Et notre système immunitaire se met à secréter autre chose…
P&S – avec la nature, la transmission a toujours été votre obsession ?
WB – Cest vrai. J’ai fait des études en en biologie mais j’ai surtout passé du temps avec des jeunes dans la nature ! D’abord aux USA ? Pour transmettre des stratégies de survie naturelle que j’ai moi-même apprises très tôt auprès de certains Indiens. Ensuite en Afrique, à l’occasion de projets en permaculture au bénéfice par exemple de communautés d’ex-enfants soldats au Liberia, ou encore au Kenya, dans un orphelinat financé par Amma, personnalité indienne reconnue dans le monde pour ses activités caritatives dédiées aux soins des humains et de la terre et vénérée comme une sainte en Inde.
Ces enfants ont appris bien plus qu’une façon de cultiver. Les lois du vivant, le partage des compétences, l’interactivité, le non-gaspillage, la redistribution des surplus, la mise en valeur du marginal, les « problèmes » vus comme des solutions, sont autant de leçons de vie reproductibles dans tous les domaines !
Travailler avec Greenfriends (la branche écologique de l’organisation MAM, fondée par Amma), comme je vais commencer à le faire en Europe est facile pour moi. Ses adeptes ont déjà intégré ce type de valeurs autrement. Plus globalement, je me désole qu’on vole le futur à nos enfants. Nos ancêtres ont en effet préservé et rendu grâce à la terre ; nous, on l’exploite ! J’aime ceux qui nous alertent.
Des chefs de village ou des hommes comme Pierre Rabhi chez vous sont de précieux exemples à suivre. J’oserais dire que ce type d’êtres est une espèce à protéger ! Et puis j’essaie de changer les mentalités. On dit en riant que la permaculture c’est pour les paresseux parce qu’on laisse faire. C’est faux. On laisse faire mais en ayant très longuement préparé ce laisser-faire !
P&S – vous parlez parfois de la nature comme le ferait un chamane. Vous considérez-vous comme tel ?
WB – Cette question me gène. Je peux dire seulement qu’il faut avoir un immense respect pour toute la création. En se souvenant que l’on n’est pas libre ; non, car on est tous interconnectés sur la toile du vivant !
La nature est un cadeau inouï. Il faut sans cesse faire preuve de gratitude envers elle. L’observer et la mimer le plus possible car elle a des stratégies incroyables. Mais notre devoir d’humain est d’aller plus loin. Des expériences ont montré qu’une forêt bien entretenue avec la permaculture finissait par donner bien plus de biodiversité qu’une forêt laissée à l’état sauvage.
Notre devoir, notre « culture » d’humains devrait être de mettre notre créativité, nos deux cerveaux, au service de la nature pour la transcender. Lui permettre de donner le meilleur d’elle-même et donc le meilleur de nous-mêmes ! Il faut davantage de pratiques dites culturelles qui sont utiles à la terre et à la santé. De la mémoire aussi.
Dans une région du Kenya par exemple, apprendre que des chants de femmes avaient lieu à une certaine période de l’année a permis de comprendre comment, dans le passé, on pouvait se préserver de certains insectes dévastateurs. Les chants dérangeaient les oiseaux qui amenaient ces insectes ! Alors qu’aujourd’hui, les malheureux désinformés par l’industrie, utilisent du DTT ! Dans le passé, des danses ou des cérémonies célébraient la terre ; La culture devrait être toujours l’expression d’une combinaison entre un groupe de gens et une nature qu’ils honorent. Pour un mieux durable, permanent, partagé.
Les aromatiques prolifèrent en spirale
Des expériences de plus en plus nombreuses sont menées en appliquant les principes de permacuture.
La création de « spirales d’aromates », qui, en un minimum d’espace, permettent de valoriser un maximum de plantes pour des infusions, des remèdes médicinaux ou des bonheurs culinaires, en est un bon exemple.
Ce mode de culture est réalisé autour de trois cercles concentriques de murets de pierre agencés en spirale, sur un diamètre d’environ 1,60 m pour une hauteur de 1 m environ. Ainsi, on obtient différentes orientations, au soleil ou à l’ombre, secs ou humides, pour une cohabitation plus prolifique et plus variée. Persil, cerfeuil, sauge, origan, thym, ciboulette marjolaine, mélisse, menthe, capucine et tant d’autres croissent ainsi de façon stupéfiante.
- sur ce sujet lire aussi le N° 28 de passerelle Eco – www.passerellesco.info.
Découvrez les relais partageurs et formateurs
« Prendre soin de la terre, des autres et partager équitablement » sont les premières lois de la permaculture. On comprend donc mieux la multitude de sites qui partagent informations, expériences et proposent des formations.
En France, une revue spécialisée : Passerelle Eco est consacrée au sujet ; Une Université populaire de Permaculture organise des festivals autour de la permaculture. Les réseaux Colibris et d’autres promeuvent aussi le concept avec générosité.
Les stages de la Méthode Bill Mollison supposent soit des week-ends d’introduction spécifiques, soit des formations certifiées sur 10 jours et 72 heures, soit un diplôme de designer en permaculture sur 2 ans. Les prochaines formations 2013.2014 Geenfriends de Warren Bush auront lieu en Allemagne puis en France.
Se former : www.greenfriends-europe.org
à lire : "Permaculture, livre 1&2" de Bill Mollison et David Holmgren, en français, éd. Corlet.
Pour aller plus loin :
Information sur la permaculture : www.ressources-permaculture.fr
Présenté par Dominique Bart