COMPOSTELLE, UN CHEMIN DE RECONCILIATION
Publié le 13 Janvier 2011
« Sources, pour une vie reliée »
n° 15 / octobre novembre décembre 2010
Présenté par Catherine Cuney
Entretien avec Gabrielle NANCHEN
«c’est la démarche personnelle qui me motive. Chemin faisant, j’ai appris que la foi
est autre chose que ce que l’on nous a appris au catéchisme. La foi c’est faire confiance à la vie.»
Qui est Gabrielle Nanchen ? Depuis l'an 2000, cette suissesse âgée de 67 ans est une pèlerine passionnée de Compostelle.
Elle préside l’association « Compostelle-Cordoue », qui appelle à une réconciliation entre l’Occident et le monde musulman.
Si la présentation qui suit vous donne envie d’en savoir plus, je vous incite vivement
à emprunter la revue Sources n° 15 à la bibliothèque de l’UCY.
Des extraits du livre de G. Nanchen sont reproduits.
Les principales leçons qu’elle a tirées de cette expérience :
Elle nous dit : « J’ai découvert la joie de vivre l’instant présent : m’étendre sur un lit de mousse pendant une pause, boire l’eau de ma gourde, sentir le jet tiède de la douche sur mes muscles endoloris…Des choses banales en réalité. Habituellement, notre esprit est tellement obstrué par mille préoccupations que nous ne nous sentons plus exister. Quand on marche, on est attentif à un rayon de soleil à travers les arbres, à l’odeur des genêts en fleurs, à un message de fraternité que vous lance quelqu’un au bord de la route. Les difficultés du chemin, la fatigue, le poids du sac à dos, les ampoules aux pieds, la peur de ne pas trouver un gîte, tout cela alternait avec ces moments de pur bonheur.
J’ai aussi appris la persévérance. C’est dur de marcher des kilomètres sur le goudron sous le soleil. Mais il faut tenir bon. La souffrance passe…J’ai également compris ce que signifie "suivre son chemin". Je me suis souvent perdue. J’avais le nez dans mon guide et je ne voyais pas toujours les flèches indiquant la direction à suivre. Il fallait alors faire des km en sens inverse pour retrouver une balise. Mais quel bonheur de se retrouver sur le bon chemin.
"J’ai pris conscience que l’essentiel dans la vie
c’est de ne pas s’égarer."
Une autre leçon :
"l’importance de la réciprocité dans la relation,
l’importance du donner et du recevoir."
Pour nous autres nantis, il est beaucoup plus facile de donner que de recevoir. Mais le Chemin nous apprend à accueillir en toute simplicité l’hospitalité qui nous est offerte.
Un autre apprentissage, chemin faisant, c’est celui de la liberté. Ma longue marche (1580 km) m’a permis de me délester de beaucoup de choses. De bagages inutiles, vêtements ou livres, renvoyés à la maison ou abandonnés dans les gîtes. Mais aussi de nombreuses scories que je transportais avec moi depuis des années : sentiments de culpabilité, de dénis, des rancœurs, de vieilles peurs, des deuils mal assumés… Il m’arrive souvent de pleurer en marchant. Les larmes évacuent le trop plein de souffrance. Alors s’ouvre en moi, pour reprendre une expression de Maurice Zundel,
" un espace infini où ma liberté respire ".
J’ai aussi beaucoup apprécié la fraternité et le partage avec les autres pèlerins. Les masques sociaux ont été laissés à la maison. On ne s’identifie plus à une activité professionnelle, ni à un compte en banque. Sachant qu’on ne se verra que l’espace d’une soirée ou pendant quelques km, on va tout de suite à l’essentiel, les joies, les peines, ce qui donne un sens à l’existence ».
Au retour !
« Le retour a été difficile. Marcher est plus facile que d’assumer une vie normale en société. On ne pense qu’à soi, à se loger, à se nourrir, à se faire du bien… En rentrant, j’ai retrouvé le quotidien, avec son lot de problèmes et de soucis des autres. Mais en arrivant à Saint-Jacques de Compostelle, j’avais compris que mon chemin continuait au-delà de ce but, que ma vie entière était Chemin. A mon retour, je me suis efforcée d’être fidèle à ma résolution :
"de ne penser chaque jour, symboliquement, qu’aux 20 ou 25 km
que je dois faire. Pas aux 1 580 km qui me séparent de mon objectif."
Réaliser chaque jour ce que j’ai à faire sans me préoccuper de ce que seront les étapes suivantes. La force de parcourir le reste de mon chemin me sera donnée chaque jour.
J’ai été appelée à donner des conférences sur mon pèlerinage. En les préparant, j’ai découvert une chose qui m’a stupéfaite. J’ai appris que l’apôtre Jacques, dont on vénère le tombeau à Compostelle, a été durant six siècles le Matamore, le Matamoros (tueur de Maures). On le voit souvent sur les chemins espagnols de Compostelle sous les traits d’un cavalier vêtu de blanc, frappant de son épée des Sarrasins à terre. Il était le porte-drapeau de la Reconquista, la reconquête de la péninsule ibérique par les souverains chrétiens. »
L’association Compostelle-Cordoue
L’objet de cette jeune association (créée en 2009) est de contribuer à bâtir un pont entre l’esprit de Compostelle et celui de Cordoue :
- Compostelle, qui incarne les valeurs de fidélité à soi-même et d’ouverture à l’autre ;
- Cordoue, la cité de la cohabitation harmonieuse, au Moyen Age entre juifs, chrétiens, et musulmans, le symbole du vivre ensemble.
A l’automne 2010, l’association a organisé une marche d’environ 1000 km de Compostelle à Cordoue, où un colloque a réuni tous les pèlerins, invités à revisiter l’histoire et à s’interroger sur le dialogue indispensable aujourd’hui entre les cultures.
Le site de l’association : www.compostelle-cordoue.org
A lire : «Compostelle, de la Reconquista à la réconciliation »
Gabrielle Nanchen,
Edition Saint Augustin, 2008