La synesthésie ou l’art de mélanger les sens…
Publié le 22 Décembre 2021
Les carnets du yoga
N° 399 - septembre 2021
Rubrique « Santé anatomie» - Jean-Pierre Laffez
La synesthésie, considérée parfois comme un sixième sens, ne doit pas être confondue avec l'imagination, la visualisation, les perceptions spontanées survenant aux cours de méditations.
Beaucoup de personnes présentent des anomalies de leurs sens de perception : Perte du goût, de l'odorat, de l’ouïe, de la vue, du toucher. Les raisons sont multiples : de naissance, accidentelle, pathologiques, vieillissement. Comprendre et développer le fonctionnement des cinq sens améliore leur fonctionnement, l’attention et la concentration. Mettre en pratique des exercices affinant les sens est favorable. Des pratiques liées au prânâyâma et à l'odorat en ont favorisé la récupération après la Covid.
A notre naissance nous sommes soumis à une multitude de sollicitions sensitives.
Chaque sens a un pouvoir subliminal. Une sensation peut remonter de la conscience, amener des souvenirs quelquefois très anciens. Ceci s'observe au cours de séances de relaxation, le sujet soumis à la voix et la volonté de l'officiant. L'odeur de notre mère, celle d'un bébé, peuvent être réveillées des dizaines d'années après avoir été perçues, faisant remonter dans la mémoire des faits anciens.
Il est décrit classiquement cinq sens d'observation. La philosophie indienne du samkhya en tient compte. Les sens apparaissent avant les organes correspondants. La médecine traditionnelle chinoise relie les sens aux cinq mouvements de l'énergie, liens entre organes, viscères, émotions, sens et organes des sens.
Certains auteurs décrivent un sixième sens variant selon les uns ou les autres :
Thermorégulation et nociception liées au toucher vestibulaire, à l'équilibre (vue, audition, toucher sont concernés). La proprioceptivité est liée à la fois au sens musculo-tendineux et à une coordination neuromusculaire. Ces sous-sens appartiennent plus ou moins à l'un ou plusieurs des cinq sens habituels, plus souvent au toucher.
La synesthésie est considérée comme un sens particulier. Ce phénomène neurologique, non pathologique se caractérise par une association de deux ou plusieurs sens. Une personne peut entendre une couleur, voir des formes, percevoir une odeur. La plus fréquente est dite graphème-couleurs, perception des lettres et des chiffres associés à des couleurs.
Les lettres de l'alphabet provoquent une perception colorée, les nombres des positions dans l'espace, la musique et les sons des couleurs.
Ce phénomène neurologique est involontaire. Personnel, subjectif, il varie d'une personne à l'autre ; il n'est pas lié au langage. Son origine est en partie génétique et héréditaire. Des symptômes semblables dus à des consommations d’hallucinogène ne signent pas une synesthésie.
Ces associations influencent les poètes et les artistes. Baudelaire, Rimbaud, Duke Ellington, Frantz Listz, et tant d'autres démontrent dans leurs œuvres cette particularité neurologique.
Elles ne sont ni hallucinatoires, ni imaginaires, ni à confondre avec les phosphènes, résultat d'une pression de l’œil, ni avec des visualisations ou évocations de couleurs.
Au cours de la méditation peuvent apparaître spontanément des images, couleurs, sons, odeurs, saveurs qui sont soit une dispersion mentale, soit une perception plus subtile du corps et des lieux énergétiques comme les chakras. Ce phénomène n'est pas un handicap, ni exclusivement un sixième sens.
Proposé par Catherine Cuney et Annie Bianchi
Pour aller plus loin :
La synesthésie est une association involontaire de plusieurs perceptions sensorielles. L’exemple le plus parlant est probablement celui que donne Arthur Rimbaud dans son poème Voyelles : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu... »
Voyelles
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;
U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;
O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
Le président de l’association américaine de synesthésie, a recensé 65 synesthésies différentes. En réalité, il est très compliqué de dire combien il en existe, mais cela donne un ordre de grandeur et montre qu’il y a beaucoup de combinaisons possibles », explique Jean-Michel Hupé, chercheur CNRS au Centre de Recherche Cerveau et Cognition, un laboratoire du CNRS et de l’Université de Toulouse Paul Sabatier. Ainsi, des personnes vont associer des couleurs à des lettres, des odeurs à des musiques ou encore se faire une carte mentale des jours de la semaine. La synesthésie est aussi une figure de style, les écrivains l’utilisent pour exprimer des nuances d’impressions ou de sentiments. Ils font appel, pour définir une perception, à un terme normalement réservé à des sensations d’ordre différent.
Il y a des synesthésies qui font partie des expressions courantes au point où on ne les remarque même plus ! Par exemple l’expression une couleur criarde fait référence à la fois au sens de la vue (couleur) et à l’ouïe (criarde). Même chose avec l’expression un son perçant qui évoque l’ouïe (son) et le toucher (perçant). Mais c’est quand on invente de nouvelles synesthésies pour faire image qu’on peut admirer le style de la figure ! En voici quelques exemples : Je croyais entendre la clarté de la lune chanter dans les bois. (Chateaubriand). Les parfums pourpres du soleil des pôles (Rimbaud). Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants (Baudelaire). Je sens l’âcre odeur d’une bien sombre musique (anonyme).
Exercice de style : amusez-vous à inventer une synesthésie et placez la dans une phrase qui lui permettra de se déployer ! Exemple : « Les arbres peu à peu se recouvrent du vert frissonnant d’un printemps incertain. ». À votre tour, maintenant !