Retrouver la bonne humeur

Publié le 10 Mars 2021

Malgré l'industrialisation et l'efficacité du monde moderne, l'humanité est émotionnellement découragée, minée.

Elle est démoralisée, ce qui se traduit en particulier par un sentiment persistant d'inadéquation. Les gens ont l'impression de n'avoir aucun pouvoir, ce qui nourrit la dépression, et la croyance prévaut que le monde pourrait en fait ne pas être si bon. Cette atmosphère d'abattement, alimentée par un doute fondamental sur le sens de notre existence, nous asphyxie tous peu à peu.

Quand on a l'impression d'être défaillant, naturellement, on se maltraite et on en vient à maltraiter les autres. S'il dure, cet état de dépression et d'agressivité devient la norme, et tout ce qui n'est pas déprimant commence à sembler naïf ou insuffisamment sophistiqué. Même notre nature nous paraît faible et petite. Ainsi, les répercussions psychiques du matérialisme et la cérémonie de l'indignité ont engendré une culture dépressive, dont le cynisme et le doute sont les sous-produits. Nos perceptions sensorielles sont comme étouffées dans du coton.

Nous sommes généralement effrayés par nos propres pensées. Consumé par le doute, notre esprit devient instable, inconstant, et nous perdons de vue la possibilité même d'être courageux. Les paroles et les actes négatifs paraissent sensés. Nous sommes tombés dans les mondes de la lâcheté, où l'esprit est déprimé, pris au piège ; nous croyons que l'agressivité est la bonne méthode pour accomplir les choses. nous avons une grande confiance en la colère ; nous sommes certains que l'agression donne des résultats et nous oublions la patience et la compassion - y compris envers nous-mêmes.

L'intelligence combinée à la dépression engendre un esprit s'acharnant à tout nier, puisqu'il se fonde sur la mort et le nihilisme - d'où l'expression "soleil couchant" forgée par mon père. Dire que notre époque se caractérise par des tendances soleil couchant ne signifie pas nécessairement que le monde va sur sa fin, mais que notre sollicitude et notre curiosité déclinent comme une montre mécanique qui aurait besoin d'être remontée en fin de journée. Un sentiment fataliste prévaut : à quoi bon œuvrer pour le futur quand on a l'impression que notre temps est compté ?

 

LA DEPRESSION.

La dépression est un phénomène que nous générons nous-mêmes. Cars, à l'inverse, quand l'humanité a confiance en sa bonté, la civilisation est naturellement brillante. L'espérance engendre la vision. Cependant, nous vivons aujourd'hui dans une profonde insécurité concernant la nature et la raison d'être de l'humanité, et le génie humain s'en trouve chroniquement inhibé.

Par sa remarque, mon père pointait le fait que la civilisation humaine tend à parcourir un cycle alternant périodes de dépression et périodes d'exaltation. Dans la méditation, ces deux états extrêmes constituent les principaux obstacles à l'établissement de la paix mentale et de l'harmonie. Aux époques de dépression, les peuples et les nations recourent parfois à la guerre pour tenter de se ressaisir. La guerre stimule l'économie, qui renoue avec la croissance. Elle donne aussi un but à l'existence; celle-ci est justifiée par la colère et la vengeance.

La dépression peut également nous affecter au plan personnel. Mon père utilisait l'image de la "dépression matinale", celle qui nous saisit au lever. A peine nous réveillons-nous qu'un nuage noir fond sur nous. Cet état d'esprit est de type claustrophobique : nous ne sommes à l'aise que dans le domaine étroit défini par des concepts limitants. Cela s'accompagne aussi d'une impression d'irréversibilité. La journée est finie avant de commencer. Cet état d'esprit n'est pas naturel. Nous le créons en fait continuellement, et le maintenir est épuisant.

 

Retrouver la bonne humeur

Quand on est déprimé, on n'a pas envie de faire d'efforts et on devient paresseux. Il y a en arrière-fond une colère de faible intensité. Ce type de dépression très personnelle est un poison pour l'esprit humain. Le sentiment d'aliénation par rapport à sa propre vie et à la société dans son ensemble s'en trouve renforcé. C'est pourquoi on peut comparer la dépression à une mort lente. Ce qui explique aussi que l'on emploie toute la journée à éviter ce sentiment. Comme on se sent défaillant, on déprime, et parce qu'on redoute la dépression, on tente de l'alléger.

Plutôt que de nous relier à la bonté, nous essayons souvent de nos plonger dans la distraction pour nous sentir mieux : nous attendons le prochain numéro de notre magazine favori ou la suite de notre show télévisé préféré. Au bout du compte, nous nous laissons séduire et anesthésier par le divertissement, pensant y trouver le bonheur. Quand nous nous tournons vers la consommation pour nous revigorer, notre culture accède volontiers à notre demande. Elle apparaît, sous cet éclairage, comme un état de surexcitation et d'agitation poussé à l'extrême.

La surexcitation est le signe qu'on cherche à apaiser sa souffrance par une hyperstimulation : De voyages en restaurants, de cafés en magasins, d'évènements sportifs en divertissements et en shopping en ligne, le tout accessible en un flot continu, on se laisse aveugler par un mirage qui tente de faire croire que la dépression n'existe pas. On achète et on mange pour essayer de combler un vide. Pourtant, au niveau subliminal, ces activités ne contribuent qu'à alimenter notre sentiment d'inadéquation.

Exaltation et dépression sont les deux faces de la confusion : on ne sait pas à quoi se vouer. On investit dans toutes sortes de choses et on se retrouve les mains vides. Notre état d'esprit est complètement lié à notre environnement. Quand nous avons le sentiment de lui être étranger, nous consommons le monde qui nous entoure avec voracité. C'est dans cette logique d'idées que mon père, lorsqu'on lui demandait ce que nous pouvions faire en faveur de l'environnement, répondait encore :

" Il faut retrouver la bonne humeur." C'est là le fondement de l'approche écologique de ShambHala : « que les êtres humains retrouvent l'entrain, non en épuisant les ressources et en s'épuisant eux-mêmes, mais en se reliant à leur dignité. »

 

Pour aller plus loin : "le principe shambhala" par Sakyong Mipham.

Nous, les êtres humains, sommes a un carrefour décisif de notre histoire : nous pouvons détruire le monde ou construire un bel avenir. Le principe Shambhala propose d’adopter le point de vue de la "bonté fondamentale" pour faire face aux défis personnels et sociaux auxquels nous sommes confrontés. 

Avons-nous confiance en la bonté primordiale de l’humanité et de la société ? En tant que lama tibétain et dirigeant spirituel, je crois que c’est  la question la plus essentielle et la plus pressante à laquelle nous devons répondre aujourd’hui. Ce livre s’articule autour d’une série de dialogues avec mon père, le légendaire Chogyam Trungpa. Il m’a non seulement montré  comment contempler le principe de la "bonté fondamentale" par l’exercice de la conscience en éveil et la pratique de la méditation, mais m’a aussi enseigné qu’elle est une norme sociale viable, à même de stabiliser et de transformer notre monde. Cependant, ce livre n’est pas une biographie, ni même un message. C’est une invitation faite aux lecteurs à réfléchir à  leur propre bonté  fondamentale et à celle de la société, puis à méditer cette question : sommes-nous capables de réveiller notre énergie et notre confiance pour créer un monde bon, fondé sur ce principe ?

 

Proposé par Dominique Bart

Rédigé par UCY

Publié dans #Spiritualité-philosophie

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