Le propre d'une vraie tradition est d'évoluer
Publié le 8 Juillet 2020
- Journal du yoga
- N° 158 – 2015
par Christian Tikhomiroff
Extrait du dossier consacré à l'enseignement du yoga
On pourrait trouver maints arguments pour vanter les bienfaits d’une formation de yoga par correspondance ou la condamner définitivement. L’intelligence humaine est ainsi faite, elle peut tout justifier, une chose et son contraire, c’est notre monde, celui de la dualité et des opposés.
Toutefois la vraie question est inévitable : n’est-il pas « hérétique » de proposer un enseignement de yoga par correspondance, en dehors de la présence de l’instructeur ?
N’y-a-t-il pas ici le risque de livrer à lui-même l’étudiant et peut être d’encourir certaines dérives ou erreurs ?
Il faut répondre sans doute oui et rajouter que ce risque existe également, tout autant si ce n’est plus, dans les formations de professeur de yoga dispensées chez nous.
En effet celles-ci ne sont données ni par un Maître, ni dans un cadre traditionnel, et ces formations de yoga dispensées dans des centres de formation avec trop de gens par classes et par trois, quatre, cinq, six ou plus de personnes différentes sont tout autant éloignées du cadre traditionnel que les formations par correspondance qui ont au moins le mérite de respecter l’intimité, l’instructeur unique, et de laisser à l’apprenti tout un matériel précis lui permettant de se corriger.
Traditionnellement l’enseignement du yoga dans le cadre d’une véritable recherche spirituelle se fait de Maître à disciple, ce dernier est alors initié et entre dans une lignée de Maîtres. S’agit-il ici d’une formation d’enseignants de yoga ? Non bien sûr, il s’agit d’une initiation personnelle qui ne concerne que soi et qui est totalement indépendante du fait d’enseigner ou pas. Cela signifie qu’il n’est pas indispensable d’être initié pour enseigner
le yoga, ni d’être dans une relation de Maître à disciple, heureusement car si c’était le cas il n’y aurait quasiment plus aucun professeur de yoga !
En Inde, cet apprentissage a lieu en petits groupes autour d’un instructeur qualifié qui peut être où pas être un Maître. Il est qualifié pour former des gens, le reste ne regarde personne. Dans le yoga tantrique la vie communautaire n’existe pas, on vient prendre des enseignements pendant un jour ou deux puis on repart chez soi expérimenter ce qui a été reçu. Cela dure un temps variable d’un individu à l’autre. En général on ne suit qu’un seul instructeur, c’est toujours le même d’une fois sur l’autre. Le contenu enseigné n’a rapport qu’avec le yoga, la philosophie, la métaphysique, les techniques. Pas d’anatomie ou d’étude comparée des religions.
Dès que cela est envisageable, parce que suffisamment de pratique et de théorie ont été assimilés, on peut commencer à enseigner, n’importe où et à n’importe qui. Les yogis tantriques ne sont ni religieux, ni des "renonçants", ils vivent simplement le monde comme une symphonie de recherche de siddhi, de partage et d’amour, et chaque fois que cela est possible ils y invitent le passant. Il n’y a pas d’ashrams, pas d’écoles, pas de ces trucs qui se sont développés finalement assez récemment – peut-être depuis moins de cent ans – pour répondre à une demande générée par les Occidentaux.
On peut donc dire qu’il n’y a chez nous aucune façon vraiment traditionnelle d’apprendre le yoga pour soi ou pour l’enseigner. Toutes les propositions ne sont que des adaptations au lieu et à l’époque. Et c’est bien ainsi. L’enseignement par correspondance fait donc partie de ces adaptations au même titre que les stages, les fédérations, les colloques, etc…
Dans les temps anciens les yogis savaient que des personnes isolées aptes à recevoir l’enseignement risquaient de ne jamais rencontrer un Maître. Ils ont donc écrit et fait circuler des textes « spéciaux » qui pouvaient guider l’apprenti et le mettre subtilement en relation soit avec le maître intérieur, soit avec la lignée. Le propre d’une vraie tradition est d’évoluer, d’adapter, non le fond bien sûr, qui reste universel et permanent, mais la forme. L’expérience montre qu’une pratique rigoureuse par correspondance donne des pratiquants aguerris et des professeurs qualifiés alors prêts à aller plus loin sur leur chemin. Dans tous les cas il est mieux de recevoir un enseignement complet par correspondance qu’un enseignement incomplet en direct.
Proposé par Catherine Cuney et Martine Oehl
Pour aller plus loin :
Christian Tikhomiroff est né en 1950, il enseigne le hatha-yoga depuis 1984 à Aix-en-Provence. Il a été formé dans une école natha-yoga de Bénarès où il a suivi les enseignements du maître Icchanâth.
https://www.natha-yoga.com/index.html