L’agroécologie au cœur du Sahel " - la ferme Beer Shéba

Publié le 6 Mai 2020

KAISEN

N°46 - Sept. Oct. 2019

 

d'après un article d’Apolline Stockhem - ( journaliste, créatrice de contenus porteurs de sens mettant en lumière des initiatives concrètes en réponse aux enjeux socio-environnementaux mondiaux. )

 

Régénérer une agriculture naturelle, sans engrais chimiques ni pesticides, et montrer que la production est supérieure à celle de l’agriculture conventionnelle au Sénégal, c’est le projet de la ferme Beer Shéba. Un miracle en plein Sahel, à l’évidence un changement de paradigme.

« …lorsque je suis venu ici, j’ai eu une vision incroyable : j’ai vu des arbres, des gens qui dansent.., de la vie ; c’est là que tout a commencé… »

Raconte Éric Toumieux, pasteur et coordinateur du projet. « Les débuts n’ont pas été faciles, il a fallu forer à 106 mètres de profondeur pour finalement atteindre une source d’eau parfaitement douce. Le niveau statique est remonté à 21 mètres ensuite. » Quinze ans plus tard, les équipes de la ferme pompent en moyenne 100 mètres cubes d’eau par jour pour arroser leurs cultures et le niveau n’a pas bougé. C’est ainsi qu’est née « l’histoire d’une bonne nouvelle » : Beer Shéba, ou « puits du serment » en hébreu.

 

La ferme de Beer Shéba est située à 20 km de M’bour, près du village de Sandiara. M’bour est une ville de l'ouest du Sénégal, située sur la Petite-Côte, à environ 80 km au sud de Dakar et à 5 km de la station balnéaire de Saly.

Centre de ressources en permaculture et agroforesterie, Beer Shéba montre qu’une autre agriculture est possible. Depuis 2012, de jeunes fermiers venus de toute l’Afrique sont sélectionnés pour s’y former. Durant onze mois, ils disposent d’une parcelle qu’ils cultivent en payant l’eau et les semences. Beer Shéba leur achète ensuite tout ce qu’ils produisent au prix du marché local (Mbour).

Pour contribuer à reverdir le Sahel, Beer Shéba enseigne une technique particulière d’agroforesterie inspirée d’un fermier zimbabwéen dont le but est de protéger les espèces existantes, telles que les repoussent des souches d’arbre et les petits arbustes, et de les encourager à grandir. « Pratiquer la reforestation intensive aurait couté très cher sans résultants garantis, la terre est trop compacte pour que les racines s’y développent. A la place, nous avons décidé de miser sur les semences qui ont survécu à la saison des pluies et de les stimuler ». Cette « régénération naturelle assistées » a déjà fait ses preuves sur les 100 hectares du domaine : plus de soixante mille arbres se sont régénérés naturellement.

 

Paillage, compost et termites, le cocktail gagnant de la permaculture au Sénégal

Pour produire légumes et céréales, Beer Shéba recourt aux techniques de la permaculture, cherchant à tirer profit des relations réciproques des espèces peuplant ses terres. « Alors que la terre n’avait jamais été cultivée auparavant, on produit aujourd’hui en moyenne quatre tonnes de céréales à l’hectare, au lieu d’une tonne pour les paysans de la région. Et je pense qu’on peut arriver à huit ou neuf tonnes au fil des années. », Estime Éric. 

« La permaculture permet de créer son propre sol, à partir de compost et de paillage, que les termites décomposeront en humus. Quel que soit le sol, ça marche », affirme le pasteur.

« La richesse de n’importe quel système agricole ou forestier, c’est son sol.

Un sol dans lequel la matière organique meurt et revit sans cesse ».

 

Pour « créer » leur sol, les élèves de Beer Shéba étalent ainsi du compost sur leur parcelle, qu’ils recouvrent ensuite de paillage : le paillage protège contre la solarisation et le dessèchement, le compost, riche en bactéries et en champignons, protège des attaques d’insectes. Quant aux termites, considérées comme l’ennemi numéro un du paysan au Sénégal, elles deviennent en permaculture un véritable allié. De la même façon que les vers de terre en Europe aèrent le sol et transforment la matière organique en humus.

« Un fermier traditionnel a l’habitude de se lever le matin en disant : tiens, je vais tuer qui aujourd’hui ? Les cochenilles, les mouches blanches, les termites ? Un permaculteur se lève le matin en disant : comment je vais attirer un maximum de vie dans mon champ ? »

Selon les spécialistes de Beer Shéba, il y aurait dans la nature un ratio de 1500 « bons insectes » pour

un seul mauvais.

La culture conventionnelle basée sur les pesticides de synthèse et les fertilisants chimiques aurait-elle atteint ses limites ?

Depuis quelques années, de nombreux experts s‘inquiètent face à notre dépendance à un système agricole énergivore et destructeur, dont même les rendements semblent prendre une courbe décroissante. « Cette agriculture repose sur ce qu’il s’avère être une illusion d’un pétrole pas cher. Il faut actuellement 600 litres de pétrole pour produire une tonne de blé », argumente Éric.

« Il y a du pétrole dans les fertilisants, les pesticides, les moissonneuses batteuses… ». La permaculture, souvent perçue comme « alternative » ou « réservée aux urbains en mal de nature », s’avère pourtant être une agriculture extrêmement productive dont on ne connaît pas encore les limites. Rappelons qu’aujourd’hui, l’agriculture paysanne nourrit 70% de la population mondiale.

 

Élevage et écosystèmes naturels : de bonnes bactéries en guise de vaccins

Beer Shéba est avant tout connu pour sa poudre de Moringa, arbre de vie source de nombreuses vitamines, ainsi que pour ses délicieuses viandes, devenues célèbres sur les marchés, qui représentent près de la moitié de ses revenus.

Leur secret ? Un élevage sain sans vaccins, qui respecte les écosystèmes naturels. À Beer Shéba, les animaux sont élevés sur un sol forestier recréé à partir de bactéries issues d’eau de riz fermentée ou de l’acide lactique du lait. Ces bactéries sont à la fois répandues sur le sol et introduites dans la nourriture des animaux.

Résultat, les animaux ne tombent plus malades, les bonnes bactéries prennent le dessus sur les mauvaises, les excréments s’auto-compostent et les odeurs sont éliminées. « À Beer Shéba, on n’utilise aucun vaccin, excepté celui contre le gumboro, qui se transmet par l’air. », explique l’un des étudiants du centre. « Tout ce qui est transmis par le sol se régule naturellement, avec un peu de paillage, de bonnes bactéries et d’humidité. »

« Dans la nature il y a huit fois plus de bonnes bactéries que de mauvaises. Mais si vous élevez des animaux sur du ciment, ils vivront au milieu de leurs excréments et seront donc entourés de pathogènes », complète Éric.

La porcherie, conçue avec une ouverture dans le toit permettant la bioactivité du sol et la circulation de l’air : les cochons y sont bien dodus et en forme, sans avoir été vaccinés ou gavés d’antibiotiques. En prime : ils ne sentent pas mauvais ! « Généralement quand ça sent mauvais, c’est justement parce qu’il y a quelque chose à réguler… ».

 

Prévenir et sensibiliser pour poser les bases de l’agriculture de demain

Le projet Beer Shéba n’est pas au bout de ses ambitions : un petit hôpital est en train de voir le jour pour y accueillir les villageois de la région et faire de la prévention, notamment sur la question du diabète, véritable tueur silencieux dans le pays : « sur les 8% de Sénégalais atteints du diabète, seuls 2% en sont conscients. Or, si les gens continuent à manger du thiéboudienne tous les jours et à boire sucré comme ils le font, ce chiffre pourrait atteindre les 15% dans les années à venir », s’alarme Éric. « Les Sénégalais mangent un peu comme les Américains dans les années 70. Il faut que nous agissions pour prévenir cette tendance. »

Le souhait des équipes de Beer Shéba, en plus de convaincre les autorités sénégalaises de la pertinence de leur modèle, est aussi d’inspirer le grand public aux pratiques durables de l’agriculture et de l’élevage. Expérimenter, inspirer et former pour que ces techniques durables deviennnet les bases de l’agriculture de demain et se répandent dans le monde, telle est la mission de Beer Shéba ».

Nous sommes convaincus que c’est notre génération

qui doit changer sa manière de produire et de manger.

 

Proposé par Dominique Bart

 

Pour aller plus loin :  vous trouverez sur le site une série de vidéo sur ce projet.

Vous pouvez aussi vous renseigner sur les visites : http://www.projet-beersheba.fr

Rédigé par UCY

Publié dans #Environnement-écologie

Repost0
Commenter cet article