Ishvara Pranidhana, s’abandonner, en toute confiance…

Publié le 10 Juillet 2019

Le Journal du yoga

N° 206 – juin 2019

 

D’après un article de Philippe Filliot

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L’expression sanskrite « ishvara pranidhâna » fait référence au Yoga Sûtra. Elle est traduite couramment par « la dévotion au Seigneur ». Mais comment comprendre cette composante fondamentale du yoga classique en la réinterprétant en dehors des spiritualités indiennes, et sans faire référence à Dieu ?

 

Patanjali introduit cette formule mystique dans le premier chapitre, consacré au samâdhi, le but ultime du yoga, dans une section relativement importante (I,23 au I,29). Elle est reprise plusieurs fois dans le deuxième chapitre, consacré aux « moyens d’action » (kriyâ) pour réaliser cet état d’accomplissement spirituel. Elle pose la question délicate du religieux dans le yoga, qui va de soi dans le contexte traditionnel de l’Hindouisme, mais qui peut rebuter ou choquer dans notre contexte occidental en grande partie sécularisé, détaché des religions.

 

Il me semble difficile dans un cours de yoga ordinaire de méditer en prânâyâma sur le nom du « seigneur », de dire aux pratiquants en relaxation de s’abandonner totalement au divin, ou encore de reprendre tels quels des rites de dévotion aux multiples dieux de l’Inde ! Comment nommer d’une manière complétement laïcisée et en quelque sorte « dés-indianisée » cette relation intime du yogi à îshvara ?

La nature de cette « conscience spéciale » (purusa vishesha) qu’est îshvara, se caractérise en premier lieu par une grande « puissance » (la racine « ISH » signifie « pouvoir », (régner »).

Cette énergie spirituelle réside au plus profond de chaque être vivant,

et elle est à l’origine de tout ce qui advient dans l’univers.

Elle est fondamentalement insaisissable et innommable,

mais Patanjali en définit certaines qualités propres :

une joie inaltérable, une clarté parfaite, une connaissance illimitée…

 

La pratique du yoga vise essentiellement à nous relier à cette source intérieure et créatrice ; il serait possible, dans ce sens, de traduire de manière non religieuse « îshvara » par « élan vital », pour reprendre l’expression du philosophe Bergson.

Quant au second terme de l’expression, « pranidhâna », son étymologie peut renvoyer à plusieurs attitudes existentielles, qui ne se réduisent pas seulement à la voie dévotionnelle :

un mouvement de l’être en avant (PRA), un retournement de l’attention vers l’intérieur (NI), et un geste d’abandon (DHANA), où l’on se remet entièrement à ce qui est plus grand que soi. Il s’agit d’une ouverture radicale à ce qui nous qui nous dépasse, et qui paradoxalement nous habite. Nous pouvons retrouver ici la notion de « spiritualité », au sens large de Michel Foucault, c’est-à-dire comme un « déplacement » de soi-même vers un « autre état ».

 

La formule « îshvara pranidhanâ », sans recourir au vocabulaire religieux, pourrait ainsi s’interpréter comme un mouvement de l’esprit, purement intérieur, qui consiste à s’abandonner, en toute confiance, à l’immensité du vivant. Déjà, il faut tout déposer. Larguer les amarres, aller au large. Puis, simplement, laisser être ce qui vient. « let it be ! ». Selon vimala Thakar, « Tout le thème du yoga, c’est cette dynamique : maintenir l’union avec la source de la création, la source de votre être, son essence existentielle ».

 

Dans nos plus belles pratiques de yoga, nous pouvons éprouver corporellement un peu de cette « essence », et toucher au plus près en nous-mêmes cette »source » de la vie, du mouvement et de l’être. Qui n’a jamais ressenti ce sentiment merveilleux d’oubli de soi et à la fois de présence paisible, qui survient parfois à la faveur de la pratique des postures ou de techniques de respiration ? C’est cela la trace sensible et la présence tangible d’îshvara pranidhanâ. Pas besoin de croire en Dieu, ni d’appartenir à une religion quelconque. La vie se révèle alors dans toute sa transparence et efface tout ce qui fait obstacle !

 

Proposé par Dominique Bart

 

Pour aller plus loin : lire de Philippe Filliot : « un yoga occidental » – Ed. Almora.

 

Rédigé par UCY

Publié dans #YOGA

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