« Il y a du bonheur à avoir peu »

Publié le 19 Septembre 2018

Sources

n°42 – Mai, juin, juillet 2018

 

 

Entretien avec Fumio Sasaki, propos recueilli par Eric Tariant

 

 

Éditeur dans une maison d'édition à Tokyo, Fumio Sasaki était une homme stressé et constamment en train de se comparer aux autres, jusqu'au jour où il a décidé de dire adieu à tout ce qui ne lui était pas indispensable. Il a emménagé à Tokyo dans un studio de 20 m² où il vit avec l'équivalent de 800 euros. Il a témoigné de son expérience dans un livre « L'essentiel et rien d'autre » qui a connu un immense succès de librairie au Japon puis à travers le monde, dans lequel il raconte comment le minimalisme l'a rendu heureux.

Qu’est-ce que le minimalisme ?

Le minimalisme est un mode de vie qui consiste à réduire ses affaires au strict nécessaire. Vivre dans un tel dépouillement entraîne un changement plus profond en donnant la chance de réfléchir à ce que signifie vraiment être heureux. J'ai dit adieu à bien des choses, dont nombre d'objets que je gardais précieusement depuis des années. Pourtant, je suis désormais tous les jours un peu plus heureux. Il y a du bonheur à avoir peu.

Pourquoi êtes-vous devenu un adepte du minimalisme ?

Notre valeur n'est pas la somme de nos biens. Les biens matériels n'offrent qu'une joie de courte durée. Les objets inutiles nous prennent du temps, de l'énergie et même notre liberté. On devient minimaliste pour des raisons diverses et variées. Certains se rendent compte qu'ils ont perdu le contrôle de leur vie à cause de ce qu'ils possèdent. Ce fut mon cas, en réaction à la surcharge d'objets qui encombraient mon petit appartement. Considérant mes livres, mes collections de CD, DVD... comme une part de moi-même, j'étais incapable de m'en défaire… Finalement, c'est en me débarrassant de mes affaires que j'ai réussi à m'en sortir. Être minimaliste, c'est tenter d'évacuer ce qui n'est pas essentiel, de façon à apprécier pleinement ce qui nous est précieux.

Le minimalisme fait partie intégrante de la tradition japonaise.

Avant l'industrialisation du pays, les maisons étaient de structures simples, la garde-robe de la majorité de la population comptait deux ou trois kimonos soigneusement entretenus. La cérémonie du thé traduit bien cette tradition minimaliste japonaise. La chambre du thé était sobre, aujourd'hui encore, cette pièce destinée à échanger autour d'une tasse de thé met tout le monde sur pied d'égalité.

Pourquoi amassons-nous tant de choses ?

Mon étroit couloir était encombré d'étagères croulant sous les livres. Pourtant, je me rappelais à peine les avoir lus et ne tenais vraiment à aucun d'entre eux. Je cherchais en fait désespérément à donner une image de moi-même… Tous ces biens finissent par se retourner contre nous : nous devenons esclaves de nos possessions. Nos outils deviennent nos maîtres.

Qu'est-ce qui a changé de fondamental en vous depuis que vous vous êtes séparés de ces objets ?

Les médias et la publicité nous bombardent de messages : « gagnez de l'argent », « habitez une belle maison », « soyez un gagnant »… Le minimalisme permet de moins se laisser distraire par ce genre de messages. Des récentes recherches en neurosciences ont révélé que certaines zones du cerveau avaient besoin, pour s'activer, que l'esprit soit libre de vagabonder et de se laisser aller aux rêveries. Ces moments serviraient à développer la conscience de soi, les préférences personnelles, la mémoire. Ils permettent de penser à soi. Il est scientifiquement prouvé que ces pauses sont nécessaires.

Vous dites, vous sentir plus libre depuis que vous cessez de vous comparer aux autres.

En disant adieu à vos biens inutiles, vous dites aussi adieu au jeu mortifère des comparaisons, et libéré de ce jeu, vous découvrez peu à peu de ce que vous êtes vraiment. Devenir minimaliste, c'est aussi s'affranchir de tous les messages matérialistes qui nous entourent. Les publicités importunes et le marketing créatif ne nous touchent plus. Personne ne peut être heureux dans un cycle sans fin où l'on désire toujours davantage.

Depuis que je suis devenu minimaliste, j'ai l'impression que la brume qui avait toujours enveloppé mon esprit s'évapore lentement. Au lieu de me concentrer sur d'autres voix que moi-même, j'écoute avec confiance ma petite voix intérieure. Le minimalisme m'a donné la concentration et la présence d'esprit nécessaires pour ranimer ma vie intérieure.

Vivre heureux permettrait de vivre plus longtemps en bonne santé, en étant plein de gratitude...

Il est démontré que les individus qui se sentent profondément heureux vivent en moyenne 9,4 années de plus. L'île d'Okinawa au Japon est réputée pour ses nombreux centenaires. La culture locale veut que tout le monde se considère comme un frère ou une sœur. Les gens entretiennent des rapports de confiance. Apporter de l'aide à autrui est une source de joie et le simple fait de le voir, déclenche dans le cerveau la production d'endorphines – neurotransmetteurs qui apportent de la joie.

Il y a quelque temps, alors que j'avais déjà entamé ce processus de minimalisation, j'ai soudain éprouvé un phénomène étrange : une immense gratitude pour tout ce que je possédais. La gratitude n'est possible qu'à partir du moment où l'on se contente de peu…

J'ai compris par la suite que la gratitude n'était pas une méthode. C'est en fait une part du bonheur, c'est le bonheur lui-même.

                                                                          

Proposé par Monique Guillin

 

 

 

Pour aller plus loin :

Fumio Sasaski, « L'essentiel et rien d’autre : L'art du minimalisme pour retrouver sa liberté d'être. »

Rédigé par UCY

Publié dans #Spiritualité-philosophie

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