Le yoga vu par une psychanalyste : le pari de Patanjali
Publié le 10 Mai 2017
Revue française de yoga
- Le corps médiateur -
N°33 - Janvier 2006
Extrait de l'article de Christiane Berthelet Lorelle
Christiane Berthelet Lorelle est psychanalyste et dirige un groupe de recherche sur les liens du yoga et de la psychanalyse.
A l'heure où dans nos sociétés comptables, l'être humain se trouve menacé d'être réduit à une valeur marchande, toute éthique qui fait le pari de l'être – qu'elle soit issue des philosophies de l'Orient, ou de l'ascèse freudienne de notre Occident – se doit de résister à la pression ambiante de la conformité, de la pensée unique et de la rentabilité.
Envisager ici que le yoga puisse être « vu par » une psychanalyste implique l'angle d'un « point de vue », c'est à dire, non pas d'une vision totalitaire et absolue de ce que serait cette discipline, mais, comme on le dit en Inde, d'un darshana.
Admettre cette rencontre c'est donc rompre avec une toute puissance ou une autarcie qui refermerait sur lui-même le texte des Yoga-Sutrâ de Patanjali, là où, au contraire, la pluralité des sens fait résonner sa richesse. C'est plus encore, rompre avec une éthique du même contre laquelle les lois morales du yoga, les yama, adossent leur travail, car loin d'annuler autrui, comme on l'imagine souvent, c'est en son nom que le vrai travail du yoga commence.
Il y a entre yoga et psychanalyse une passerelle, si bien que les deux pratiques se révèlent plus complémentaires qu’antinomiques, malgré les réticences claires de certains yogis face au travail psychanalytique. Dans l’un comme dans l’autre, en effet, est défini un objectif d’éclaircissement du mental, avec pour horizon un équilibre intérieur nouveau.[…] Si yoga et psychanalyse se lient pour moi dans une logique quasi naturelle, c'est que tous deux, en ce sens, visent la singularité d'un sujet. L'un permet l'autre.
Expérience
Si le yoga m'a permis cette transition vers le lieu de la cure analytique, il n'a pas simplement dit son insuffisance à soigner ma douleur en déléguant à la psychanalyse le soin de le faire, il m'a permis au contraire d'espérer en un lieu qui pourrait me recevoir. Et là, dans le silence diffus du travail du corps, dans son repos même, je me suis sentie reçue comme par une bonne mère (du moins voulais-je le croire et l'éprouver...). Et quelque chose s'est mis à commencer là où ce n'était pas encore... c'est à dire là où ça n'avait pas eu lieu, là où ça n'avait pas été possible.
Il y avait là comme une pause au cœur du temps, un temps où il me semblait que je recollais les morceaux. Et dire cela ainsi aujourd'hui, exprime sans doute le sentiment que j'avais, d'être éparpillée aux quatre vents, mais ne sachant ni pourquoi, ni d'où me provenait cette sensation de vide d'existence. Je rassemblais les brisures éparses de moi-même avec l'impression de me réapproprier ma vie, comme si elle avait appartenu jusque là à quelqu'un d'autre, ou comme si son secret en était resté captif. Cette sensation reste inoubliable. J'étais en train de me rejoindre. Fallait-il avoir été perdue pour moi-même, ou annexée, privée des coordonnées de ma propre existence pour me sentir ainsi si loin de ma vie...
Quand l'expérience du yoga se vit dans sa profondeur, je crois qu'elle est pour chacun ce lieu d'un commencement, singulier, inédit, insoupçonné, fondamental, un lieu d'espoir, où même obscurément, le sujet se saisit de lui-même, fruit de son histoire, fruit de sa relation à autrui, et de la relation que ses premiers autres (mère, père, frères, sœurs) ont entretenue avec lui. Elle devient ce que Patanjali appelle dans ses règles éthiques une étude de soi, svâdhyâya, une méditation qui pendant longtemps s'ignore, souterraine et muette, et, qui, un jour, dans les méandres d'une maturation, trouve une façon de se faire entendre, de se dire, et d'intégrer pour le sujet, ce qui fut vrai, et l'est encore pour lui-même...
Proposé par Monique Guillin
Pour aller plus loin : Livre de Christiane Berthelet Lorelle : "La sagesse du désir. Le yoga et la psychanalyse". Ed. Seuil.