« Cultivons la terre pour revitaliser la démocratie »
Publié le 28 Décembre 2016
PLANTES ET SANTE
n° 174 - novembre 2016
Propos recueillis par Arnaud Lerch.
En mêlant analyses philosophiques, historiques et sociologiques, la philosophe Joëlle Zask réhabilite la figure du cultivateur et propose une analyse originale du lien politique qui nous unit collectivement à la terre et au jardin.
Son ouvrage " La démocratie aux champs " nous invite à « faire le tour d’une expérience de liberté dont le site privilégié est la parcelle cultivée ».
Plantes et Santé - Pourquoi le faite de cultiver la terre n’est pas selon vous une activité comme une autre ?
Joëlle Zask. La culture de la terre à laquelle je me suis intéressée est une combinaison entre le travail du paysan et du jardinier, celui qui produit sa subsistance grâce à sa parcelle mais aussi celui qui en prend soin, qui en est le gardien et l’embellisseur.
La figure qui m’intéresse n’est pas celle de l’agriculteur industriel qui tente de dominer la nature, lui arracher ses fruits, faire taire son imprévisibilité pour tendre à plus de productivité. Ce n’est pas non plus une figure romantique et contemplative, en totale fusion avec la nature et ses rythmes. Ni dominateur, ni fusionnel, le cultivateur dont je parle dialogue avec les contraintes naturelles, mène des expériences, éprouve sa liberté.
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P&S - Vous évoquez également la fonction cicatrisante du jardinage. Pouvez-vous préciser ?
J.Z. On a beaucoup utilisé le jardin comme outil social d’intégration ou de réintégration sociale depuis le XIXème siècle.
Dans les hôpitaux psychiatriques notamment, mai aussi, dans les débuts de l’orthithérapie, pour aider les vétérans américains à se remettre de leurs traumatismes après la Première Guerre mondiale. En plus de la remobilisation physique, cela permettait une reprise de dialogue avec le réel sans passer par la parole et de retrouver une forme d’équilibre en faisant vivre les plantes plutôt que de donner la mort.
Au jardin, blessé ou pas, tout le monde peut faire quelque chose, il y a une dimension profondément égalitaire et l’on perçoit la signification de son travail. S’y développent d’autres qualités sociales nécessaires à la vie en commun comme la transmission, la partage, la coopération, la patience….
P&S - Vous donnez beaucoup d’exemples du rôle de socialisation ou resocialisation du jardin…
J.Z. Les jardins partagés jouent un rôle majeur de sociabilité et d’échanges. Dans le New York des années 1970, leur essor a joué une fonction profondément intégratrice : ces jardins multiculturels étaient fréquentés par beaucoup de femmes, qui y trouvaient un lieu pour fuir les violences conjugales ou mettre leurs enfants à l’abri de la délinquance de la rue. Ils constituaient un lieu d’échanges et de vie sociale dense à l’abri des flux urbains anonymes.
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P&S - Ne trouvez-vous pas que les choses s’accélèrent du côté de l’agriculture industrielle comme de celui des alternatives dont votre livre se fait l’écho ?
J.Z. Nous sommes actuellement dans une situation très périlleuse, avec une agriculture industrielle en plein essor. En réponse à l’imminence d’une catastrophe écologique annoncée à l’horizon de trente ans, cette industrie se consolide car elle pressent que son temps est compté. Face à cela beaucoup de gens éprouvent l’urgence de s’engager dans d’autres pratiques pour stopper ce mouvement destructeur.
Les pratiques alternatives de culture revêtent un aspect vital pour penser la communauté, l’avenir et également revitaliser nos pratiques démocratiques : ce n’est donc pas du tout un truc de bobo naïf, c’est tout le contraire. C’est un acte politique plein de positivité.
Proposé par Catherine Poulain Bourdichon
Pour aller plus loin : http://joelle.zask.over-blog.com/2016/04/introduction-de-la-democratie-aux-champs.html